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La question mémorielle

Le village des justes

Emmanuel Deun
Editions Imago

Sous une forme ou une autre le sort des juifs français ou réfugiés en France pendant la deuxième guerre mondiale continue à interroger nos contemporains et à faire l’objet de publications réservées de fait à un public averti. C’est le cas du livre publié aux Editions Imago en 2018 et intitulé Le village des justes. L’auteur Emmanuel Deun se présente comme un psychologue clinicien, psychanalyste et médiateur de justice. Cet ouvrage aborde l’histoire de ce petit village de la Haute Loire qui fut un refuge pour des milliers de juifs pendant ces années où l’horreur nazie s’était abattue sur l’Europe et au-delà*.

La mémoire aujourd’hui

Emmanuel Deun, à plusieurs reprises, rappelle qu’il n’est pas historien. Il a cependant voulu apporter sa pierre à l’édifice de la mémoire. Soit ! Avant d’aller plus loin, rappelons quelques faits. Ce village, perdu sur le plateau ardéchois, est une enclave protestante, huguenote, quasi unique en France. Le souvenir des persécutions religieuses, des camisards, y est encore vivace. Cet endroit fut entre les deux guerres un endroit de villégiature et de repos pour nombre d’enfants en mauvaise santé. Il se dota pour les accueillir d’un grand nombre de pensions de famille. Au milieu des années trente un pasteur mal noté par sa hiérarchie y est envoyé. Cette dernière espère que dans ce coin reculé il n’y fera aucun scandale. Il ne reste pas seul. Il est rejoint par d’autres du même type. Ils ont tous été des objecteurs de conscience dans les années qui suivirent l’immense boucherie que fut la « Grande Guerre ». Ils ne veulent pas que cela se reproduise. Ils ont donc désobéi à la machine militaire. Cela est mal vu par leurs supérieurs ecclésiastiques. Une nouvelle guerre se prépare, une nouvelle guerre se déclare. Cette fois ce sont les juifs en tant qu’entité qui ont été déclarés comme ennemis prioritaires. Cet oukaze nazi rencontre en France un antisémitisme larvé qui n’attend que cela pour devenir ouvert et actif.

Les pasteurs présents au Chambon ne peuvent accepter cela. Emmanuel Deun retrace minutieusement le début de leur résistance. L’attirance que ce village et ceux qui l’environnent a sur ceux qui cherchent un refuge. L’accueil sur place est organisé, utilisant les hôtels et pensions de famille qui avaient servis de lieu de repos avant la guerre. Devant l’afflux de réfugiés des filières se mettent en place afin d’exfiltrer ces derniers vers la Suisse.

L’auteur exprime une attirance certaine vers celui qui va incarner cette résistance, le pasteur André Trocmé, sans pourtant comprendre ce qui le meut réellement. Ce faisant Deun va mettre en lumière, sans vraiment trancher, la situation où se trouve ce lieu de résistance non-violente. C’est une partie qui se joue dramatiquement entre l’action de Trocmé et de ses amis d’une part, la résistance armée d’autre part et l’occupation allemande s’appuyant sur la complicité de l’État vichyste.

Si le Chambon et le plateau ardéchois qui l’entoure n’ont pas été soumis cela est du pour une part à une tolérance plus ou moins complice des forces de police française qui trouvaient là l’occasion de concrétiser un refus d’obéissance larvé. Pour une autre part l’absence d’agressivité militaire de la Résistance rendait moins nécessaire, utile, la manifestation oppressive de l’armée allemande stationnée à proximité. C’est cette situation ambiguë qui est devenue l’objet de discussions parfois acerbes, à partir du moment où l’histoire du Chambon est entrée dans l’Histoire. Il a fallu en effet attendre le début des années 1980 pour qu’un livre écrit par un Américain, Philip Hallie, soit traduit et publié en France sous le titre Le sang des innocents. On se rappelle que quelques années plus tôt, un autre Américaine Paxton, avait brisé le mythe de toute la France résistante en publiant son livre sur Vichy.


Pacifisme et/ou non-violence

Une question traverse le livre, celle de savoir ce qu’est Trocmé d’un point de vue politique. Pour l’auteur, André Trocmé est pacifiste. C’est d’ailleurs ce qui apparaît aussi sur les panneaux qui lui sont consacrés dans le lieu de mémoire situé en face du temple protestant où ce pasteur et ses collègues ont officiés toutes ces années de guerre. Etre pour la paix suffit-il de faire de l’un ou l’autre un pacifiste ? Trocmé et ses amis étaient-ils seulement pacifistes ? Parfois E. Deun avance le terme de non-violent sans pour autant savoir quoi en faire.

Je vais pour ma part tenter une classification. Etre pacifiste implique une opposition forte a tout ce qui peut amener un pays à entrer en guerre contre un autre. Est particulièrement visé ce que l’on peut appeler le secteur militaro-industriel. Le pacifiste est radicalement antimilitariste. Ce qui fait que parmi ceux qui forment ce courant il se trouve un grand nombre d’anarchistes. C’est quand la question de l’utilisation de la violence se pose que la notion de non-violence apparaît. On peut être antimilitariste et être favorable à l’utilisation de la violence dans les luttes sociales ou politiques comme en Espagne. Gandhi a montré de son coté, lors de la deuxième guerre mondiale, qu’on pouvait être non-violent sans être antimilitariste.

Historiquement les congrès antimilitaristes se sont enchaînés avant la première guerre mondiale sans résultat. A aucun moment l’appel à la désobéissance, au refus individuel de porter les armes, étape indispensable vers un refus collectif, n’avait alors été prôné. Il faudra attendre la fin de la première guerre mondiale pour voir le nombre d’objecteurs de conscience devenir significatif. Ce seront, quelques-uns parmi ces derniers qui se retrouveront au Chambon sur Lignon. A la fin de ce livre, l’auteur revient sur ce qu’il appelle « le militantisme pacifiste » qui n’a été pour Trocmé qu’un engagement non-violent comme un de ses derniers livres Jésus Christ et la Révolution non-violente publié en 1961 en témoigne.

Quelques précisions

L’auteur, Emmanuel Deun ne prétend pas être un historien, certes, pourtant un certain nombre de choses nécessitent d’être rectifiées. Le Mouvement International de la Réconciliation, d’inspiration protestante mais dans lequel on a pu retrouver nombre de catholiques, n’est pas et n’a jamais été une organisation pacifiste. Le MIR a dès sa naissance fait référence à Gandhi et à son action. Tout au long de ce livre E. Deun mentionne les Quakers, utilisant selon les moments une majuscule ou une minuscule, sans jamais l’expliciter. Branche de la Réforme protestante radicale, les Quakers qui apparaissent en Angleterre au cours du XVIIéme siècle, migrent en Amérique à la fin de ce siècle-là. Dès le début ils s’engagent contre l’esclavage et joueront un rôle important quoique souvent oublié dans ce « train » qui emmenait les esclaves noirs en fuite vers le nord anti-esclavagiste. En aucun cas il n’est possible de les qualifier de pacifistes. Ils sont aujourd’hui et depuis le début du XXème siècle attaché à la non-violence. L’une de leur figure les plus connues est Joan Baez.

Une autre erreur de l’auteur est de présenter le Chant des marais comme le cantique des persécutés. Je ne sais pas où il a pu trouver cela. Ce chant a été créé par des prisonniers politiques dans les camps de concentration du début du nazisme dans la région de Lüneburg, nord de l’Allemagne. On peut penser que A. Trocmé, germanophone accompli, avait eu connaissance de ce chant provenant de ces camps situés dans des espaces de tourbe. L’auteur fera une confusion du même type en ne relevant pas que le Chant des adieux est la version française d’un vieux chant écossais Auld Lang Syne popularisé dans tous les milieux scouts. Une autre erreur est de définir le journal Peace News comme un journal américain alors qu’il a de tout temps, et encore aujourd’hui, été une publication britannique. Il est très facile de critiquer de nos jours un article paru en 1953 pour sa partialité. Ce serait oublier qu’alors seul le récit résistancialiste avait droit de cité.


Violence et non-violence

L’existence de ces deux pôles de résistance a suscité et suscite encore beaucoup d’incompréhension. Ce livre comme d’autres publiés il y a quelques années, en porte témoignage. Il semble avéré que le maquis local aurait essentiellement servi comme base de repli, comme refuge, pour ces jeunes gens qui refusaient de partir en Allemagne dans le cadre du STO (service de travail obligatoire) mis en place par les nazis. Si les rapports de la Résistance armée avec le pasteur Trocmé sont tendus et créent « un mur infranchissable d’opposition et d’incompréhension mutuelles » il n’en reste pas moins que le mot d’ordre « interdisant toute provocation et tout débordement de la part des Résistants » sera respecté jusqu’en 1945. Aujourd’hui, cet antagonisme perdure comme on a pu le voir ces derniers temps avec les actions d’Extiction Rebellion et les décrocheurs de Macron. Ce livre d’une certaine façon s’inscrit d’une certaine façon dans le débat qui tourne autour des livres de Pëter Gelderloos mettant en cause la non-violence et l’accusant de complicité avec l’Etat. Il est à cet égard d’une grande utilité malgré les reproches que l’on peut lui faire.

Fissures mémorielles

C’est le titre d’un des derniers chapitres de ce livre. J’aimerais bien glisser dans l’une d’entre elles quelques faits. Il y a un héritage. La première manifestation contre les centrales nucléaires en France fut conduite par André Trocmé avec à ses côtés Lanza del Vasto. Dans la lutte pour l’objection de conscience nombre d’objecteurs de confession protestante se référaient justement à l’action d’A. Trocmé. La loi obtenue par Louis Lecoin, anarchiste, mais accomplie par ceux qui étaient en service national civil a alors profité à 70 000 jeunes hommes qui purent ne pas passer sous les fourche caudines militaires. Si le musée du Chambon consacré à cette histoire est le fruit des efforts de la maire de ce village, Madame Vauquiez, il convient de rappeler que la majorité du conseil municipal et des habitants voulait, en septembre 2016, accueillir des réfugiés. La maire ,Eliane Wauquiez suivit, elle, la position de son fils, Laurent Wauquiez, qui ne voulait pas accueillir de migrants en Auvergne. Je terminerais juste en rappelant qu’une grande fête pour le 70ème anniversaire de cette histoire fut organisée en 2009 sous le patronage des plus hautes autorités et en présence de l’Ambassadeur d’Israêl fervent soutien d’Ariel Sharon. On récupère ce que l’on peut

P.S.

* L’auteur de cet article a lui-même fait lui-même partie de ceux qui vinrent au Chambon sur Lignon pour trouver une échappatoire aux déportations.