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Détruire le monde, disent ils !
{{ {Paru dans le numéro 1778 du Monde libertaire 25 avril 2016} }}

C’est la question qui est posée tout au long de ce spectacle, de cette pièce de théâtre, de ce coup de poing. La seule question qui est posée par cinq acteurs aux spectateurs qui les regardent médusés. Un silence de plomb pèse dans le théâtre au moment de la longue tirade de celui qui incarne un Fassbinder d’aujourd’hui. Je suis Fassbinder proclament ces cinq acteurs, deux femmes et trois hommes. Est-ce le retour du théâtre politique ? Oui, enfin !

Politique, cette pièce l’est. Sans aucun doute. C’’est une écriture d’aujourd’hui, du présent. Si l’Allemagne des années 70 est en toile de fond, la question de Cologne est là plus que présente. Si le spectateur entrevoit Baader et Meinhof, les attentats de l’année passée
plombent l’ambiance. C’est un spectacle politique jusque dans sa fabrication. L’auteur est le metteur en scène, le metteur en scène est l’acteur principal. Ils sont deux. L’un est Allemand, Falk Richter, l’autre est Français, Stanislas Nordey. Les premières représentation ont eu lieu sur la scène du Théâtre National de Strasbourg.

Le texte a été écrit et traduit au cours des répétitions. On peut donc penser que le jeu des acteurs à ces moments là a influencé cette écriture. Les deux metteurs en scène ont pris le risque de cette mise en abime.

Cet abîme qui nous inquiète tous d’une façon ou d’une autre avec l’arrivée des migrants, des réfugiés, de ces nouveaux malgré-nous. Ils sont là au cœur de cette pièce, dans ce dialogue entre la mère de Fassbinder et ce dernier.

« Fassbinder. Oui mais tu ne peux pas juste les mettre dehors comme ça, ils sont censés aller où ?

Sa mère. Là d’où ils sont venus.

Fassbinder. Là-bas il y a la guerre. Il n’y a rien, tout est détruit.

Sa mère. Alors ils doivent reconstruire leur pays.

Fassbinder. Mais comment ? En pleine guerre.

Sa mère. Je m’en fous. »

Nous ne sommes plus protégés dit elle. Qui va nous protéger ? demande-t-elle, se référant à la nuit de Cologne.

Si la démocratie est le moindre des maux comme c’est rappelé dans la pièce, le remède avancé par un des acteurs-auteurs-interprètes : un dictateur bon et gentil, fait froid dans le dos.

« Je crois qu’il s’agit d’abord de la question de la confusion qui règne aujourd’hui au regard de la situation politique » avance Falk Richter, interviewé, et il se demande « ce que ça signifie, pour les individus, de vivre dans un monde qui peut changer d’un jour à l’autre. Un monde où nous ne savons pas exactement ce qui peut survenir, où l’Europe n’est plus un lieu sûr et connaît progressivement le même sort que le Moyen-Orient, où l’ensemble des conflits mondiaux portent de plus en plus atteinte aux populations civiles. Jusque-là, nous étions rarement confrontés à cette situation en Europe, ça se passait plutôt à l’extérieur de l’Europe, mais à présent, malheureusement, la situation a changé, nous ne sommes plus cet îlot protégé au milieu d’un monde criblé de conflits... »

La problématique qui parcours toute la pièce « de savoir comment détruire cette société ? » Pouvons-nous entendre cette question aujourd’hui ? Dans ce pays où en cette fin de règne quinquennal une partie de la jeunesse descend dans la rue. Dans ce pays où la partie dirigeante prétend que ceux qui ont un travail, les insiders, empêchent par égoïsme ceux qui n’en ont pas, les outsiders, d’y accéder.

C’est un théâtre politique qui met aussi bien en cause le clan Le Pen, en faisant entre autres de M.M-LP un objet masturbatoire, qu’il ne rappelle que la petite fille du ministre des finances d’Hitler, Beatrix von Storch, siège à Strasbourg, représentant le parti d’extrême-droite AFD. Ce parti dont la dirigeante, (encore une femme ?) proclame que la police doit tirer sur les réfugiés s’ils veulent franchir la frontière !
Cela dit est ce un bon spectacle ? A cette question mon ami R.F. me réponds ceci : « Je trouve que c’est un bon spectacle, costaud, politiquement utile, et surtout un bon signe pour parcours à venir du TNS. Mais je ne le trouve pas si exceptionnel, je ne sais pas comment il se situe dans le contexte théâtral général » Il continue en disant « dans le mou actuel, il y effectivement quelque chose, au moins du côté intello et artistique. Le mou va peut-être se durcir, ce qui est sans rapport avec le spectacle. Mais le spectacle n’est pas à mon avis un tel bouleversement que ça ».

Dans un pays où la classe politique a un discours convenu pour ceux qui sont en place comme pour ceux qui veulent cette place, dans un pays où la platitude du discours contestataire est centrée sur la question « islamophobe ou non ? », cette pièce apporte un courant d’air frais. L’espoir n’est pas perdu.

Après le spectacle, tout le monde a rejoint son domicile, les mains dans les poches, il faisait froid.

P.S.

Je suis Fassbinder
Théatre National de Strasbourg
Falk Richter, Stanislas Norday