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De la résurgence de l’antisémitisme

Donc cet été il y eut des manifestations. Contre le vaccin, ou plutôt les vaccins, contre le passe-sanitaire, contre le virus et ses variants, contre l’autoritarisme sans limite macronien, contre l’incertitude, contre bien des choses et pour la liberté ! De l’avis de tous les observateurs, de l’avis de bien des militants engagés dans ces défilés, un grand nombre de primo manifestants étaient présents. Est-ce cela qui explique la tonalité antisémite qui surgit de ces regroupements ?

Une étoile, mais Qui ?

L’apparition d’étoiles jaunes porté aux revers de certains habits, l’interrogation QUI ? brandie par certains, tout cela fit éternuer la classe politique de la droite à la gauche et piqua le nez de votre serviteur. Des médias titrèrent en pleine page à ce propos, comme Le Monde « Dans les manifestations, le retour de l’antisémitisme d’extrême droite décomplexé », Le Figaro « une vague d’antisémitisme dans le monde qui inquiète » ou encore Médiapart « les résurgences d’un antisémitisme virulent ». Tout cela, manifestations et réactions ne pouvait que nous obliger à réfléchir, ici, à ce nouvel accès de fièvre.

Afficher volontairement sur sa poitrine ou ailleurs une étoile jaune sur laquelle est inscrit « non-vacciné » ou « sans vaccin » surprends, choque, interroge. Plusieurs explications viennent à l’esprit. C’est d’abord la preuve de l’efficacité de l’enseignement de l’histoire en France. La mémoire de Vichy est bien vivante mais l’importance mortelle de ce signe a été oubliée. Ce qui était l’annonce de quelque chose de pire que le simple affichage, ce qui avait été précédé par la Nuit de Cristal était oublié. Le port de l’étoile jaune semble être devenu une façon de crier sa colère et non plus une marque d’infamie imposée par un pouvoir meurtrier.

Puis vint le QUI ? Il a suffi qu’une baderne gradée prononce ce mot lors d’un talk-show à la télévision pour que cela soit repris dans certaines manifestations. A la question qui lui est faite « qui contrôle la « meute médiatique ? » ce général, déjà signataire de la pétition réclamant un pouvoir fort, répond « La communauté que vous connaissez bien ». Ce mot fut brandi, répété à plusieurs reprises en manifestations ou sur les réseaux sociaux. Ce qui surprend, malgré tous les devoirs de mémoire possibles et imaginables, est la tolérance manifestée à tout cela au sein de ces manifestations. Si la porteuse de pancarte avec ce QUI ?, ex Front national, fut bien inculpée pour provocation à la haine raciale, la fois suivante des pancartes proclamant « Je suis Cassandre (son prénom) » furent brandies en solidarité. Tout est relatif, bien sûr. Cet antisémitisme affiché peut être compris comme une réaction irrationnelle à une situation qui peut sembler l’être. Mais enfin qui a vu un virus dans la rue ? Hélas ce relativisme se manifeste aussi à un autre niveau, plus grave à mon avis.

Un massacre parmi d’autres

La victoire des nazis réside dans le fait d’être obligé, plus de sept décennies après, d’avoir encore et toujours à nous confronter à la nature de la Shoah. Le négationnisme continue à être présent un peu partout, sous différentes formes. Après celui de Rassinier (il n’y eut pas tant de chambres à gaz que ça) et celui de Faurisson (mathématiquement impossible d’avoir gazé autant de gens dans aussi peu de mètres carrés) vint en Allemagne le temps des historiens. En 1986 un éminent spécialiste du nazisme, Ernst Nolte suscite la polémique en avançant que le fascisme et le nazisme étaient une « réponse » au bolchevisme, et les camps une « traduction » allemande du Goulag. Ce qui était une façon de renvoyer dos à dos le communisme réellement existant et le nazisme. La violence de la réaction d’un certain nombre d’historiens avec à leur tête Jurgen Habermas, considéré alors comme l’incarnation de la conscience allemande, mit fin à cette explication.

Près de quarante années après, le débat renait ! Certes la parole est libre ! La contestation vient du côté dit « post ou dé-colonial ». Un intellectuel africain connu, Achille Mbembe met, dans Politique de l’inimité(2016), les massacres coloniaux et la Shoah à égalité comme « manifestations emblématiques d’un fantasme de séparation ». Le judéocide s’inscrivant alors dans la continuité des crimes européens dans les colonies. Ce type de position découle soit d’une méconnaissance de ce qui s’est passé soit d’une volonté de réduire l’importance du récit de l’histoire mondiale vue du côté des colonialistes. La question de la spécificité de la Shoah se pose comme toujours. Soit il ne s’agit que d’une série de meurtres plus ou moins horribles comme le sont tous les meurtres et il est ainsi possible de clore la question, soit il s’agit de quelque chose unique dans l’histoire de l’humanité et alors cela a un impact particulier sur notre façon de voir le monde et son futur.

C’est cela qui est en jeu quand sont exhibés des étoiles jaunes sans mémoires.

Pierre Sommermeyer

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