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en collaboration avec André Bernard
Le futur est à venir

Mais « le futur n’est pas écrit », comme on a pu le lire dernièrement, en 2011, sur un mur d’Athènes. De son côté, Émilienne Morin, la compagne de Buenaventura Durruti, citée dans Le Bref été de l’anarchie de H. M. Enzensberger, réédité en 2010 chez Gallimard, déclarait : « Ce qui est passé est passé. On ne fait pas deux fois la même révolution.  »

Aujourd’hui

En cette année 2011, donc, l’histoire que certains prétendaient arrêtée semble s’être remise en marche ; un futur inattendu s’est ouvert à nos yeux, une nouvelle fois, avec la surprise des printemps arabes ; et, en Europe aussi, l’avenir s’est éclairé modérément par l’action de ceux que l’on a nommés les « indignés », indignés de toutes sortes que l’injustice a fait se lever. Dans le même ordre d’esprit, il ne faut pas oublier un certain nombre d’actions éparpillées de désobéissance civile un peu partout en France.

Ainsi, l’ébahissement a été grand pour ceux qui n’ont pas d’imagination et qui sont installés mentalement, depuis belle lurette, dans des schémas de pensée sclérosés. Nous avons, quant à nous, salué les printemps arabes : des peuples que l’on croyait éternellement dominés, assoupis et abrutis de religion ont entrepris de chasser leurs tyrans ; et, en ce qui concerne les Tunisiens et les Égyptiens, de les chasser sans armes. Certes, et ce n’est pas un moindre détail, avec la neutralité de l’armée : ce qui veut dire qu’il faut aussi apprendre à diviser l’adversaire. Les Libyens qui ont reçu une aide militaire de l’Otan ont quasiment atteint leur but.

Les Syriens, eux, si l’on veut bien s’en rapporter à un article de Hala Kodmani dans Libération le 8 août 2011, ont fait le choix d’une révolution pacifique malgré la très forte pression d’autres contestataires qui veulent prendre les armes : « Le premier coup de feu tiré de nos mains serait un cadeau pour le pouvoir et braquerait contre nous cette majorité silencieuse que nous commençons à gagner à notre combat », déclare sur la toile un des coordinateurs de la contestation. Jusqu’à quand ces rebelles sans armes maintiendront-ils cette résilience, jusqu’à quand pourront-ils continuer à affirmer leur triple mot d’ordre : « Non à la violence, non au confessionnalisme, non à l’intervention militaire étrangère » ?

La réflexion libertaire

À notre connaissance, l’ensemble de ces mouvements n’a pas attiré beaucoup de commentaires du côté de la presse libertaire. Et ce n’est pas l’interview de Daniel Colson (Le Monde libertaire, hors série, n° 42, de juillet-septembre 2011) qui apporte du nouveau.

Mais nous saluerons pourtant, sur un plan plus général, le travail de Daniel Colson − et de quelques autres. En effet, un effort pour rénover nos idées a été entrepris ; car ce que nous pouvons nommer l’anarchisme traditionnel, celui des pères fondateurs, n’est peut-être plus en adéquation avec l’époque où nous vivons ; des post-anarchistes se sont même avancés sur la scène internationale. Pour Daniel Colson, il s’est agi, entre autres nombreuses réflexions, de penser l’unité de l’anarchisme dans sa diversité. Ainsi, il reprend la formule imagée d’un militant lors d’une rencontre à Genève en 1882 : « Nous sommes unis parce que nous sommes divisés. »

Cette interview devant être relativement récente, on peut s’étonner cependant que ne soit pas pris en compte ce qui s’est passé − et ce qui se passe encore − depuis le début de 2011 dans les pays arabes et musulmans : sans le poignard ni la bombe, des peuples se sont débarrassés en quelques endroits de leurs oppresseurs. Ce bouleversement inattendu, économe de violences si on excepte la Libye − et qui pourrait bien n’en être qu’à son début −, a pris de court tous nos historiens météorologues. Pour autant, il serait hasardeux de préjuger de la suite.

Oui, on peut s’étonner que des intellectuels, tellement à l’écoute de la modernité philosophique, soient si sourds aux mouvements réels des peuples réels qui, en si peu de temps, ont balayé les pays arabes comme un tsunami.

Mais pas seulement les pays arabes : il y a peu, quelque 300 000 « indignés », si ce n’est plus, se sont manifestés en Israël. Le mouvement aurait démarré contre l’augmentation du prix du fromage blanc. Mais si ! (Voir Le Monde des 7 et 8 août 2011.) Nous savons depuis longtemps que des événements éclatent à partir d’un problème relativement mineur de la vie quotidienne. Et puis le rassemblement de ceux qui crient justice libère alors la parole, en arrive à vaincre la peur et s’ouvre sur l’action. En Israël, la protestation s’est ainsi orientée sur les difficultés de logement des classes moyennes, puis sur une critique de la répartition de l’argent public qui va de préférence aux habitations dans les colonies : on débouche alors sur une question bien plus politique quant au choix d’un capitalisme néolibéral ultra par le gouvernement. Ce mouvement d’indignation constituerait un prolongement des mouvements arabes : on ne craint plus de contester, on a vu que le changement était possible.

Toujours pour citer Le Monde, du même jour, en une, à propos des nationalistes corses, le journal ne craint pas d’écrire que, après « de spectaculaires nuits bleues et 150 000 attentats », l’option « militaire » des indépendantistes a débouché sur une impasse qui se traduit maintenant par un engagement politique des plus classiques. Là aussi, la question de la violence est posée.

Sur la violence

Mais, si on en revient à l’anarchisme quand il s’agit de violence, pour Daniel Colson comme pour beaucoup d’autres, la réponse relève toujours du catéchisme anarchiste habituel, sans cesse ressassé, qui ne tient aucun compte de ce que l’on trouve dans les écrits anarchistes sur la concordance entre la fin et des moyens, autrement dit une réflexion sur une certaine cohérence idéologique de l’anarchisme − recherche qui ne date pas d’aujourd’hui − ; par ailleurs, on ne trouve aucune référence aux événements d’aujourd’hui qui pourtant portent à réflexion.

Le questionnement s’arrête, se bloque ; il y a comme un interdit. On reste encore complètement tourné vers les valeureux ancêtres, vers la saga de la Commune de Paris, vers l’épopée ukrainienne et vers le glorieux et « bref été » libertaire espagnol. Un mur mental s’est installé, une frontière infranchissable de la célébration des héros s’est figée.
Il n’est pas envisagé de sortir de la croyance quasi mystique en une courte révolution triomphante, celle qui change la réalité en une matinée, l’arme au poing, à l’assaut des barricades et des casernes, parce que, quand même : « Nous sommes des révolutionnaires, nous ! », parce que la révolution est inimaginable sans « notre » violence ; par ailleurs, on peine à s’extirper d’une autre image figée : la passivité pacifiste et la position caricaturale christo-non-violente de la joue tendue.

Il n’est donc pas non plus envisagé d’analyser les rapports de force en présence afin de tenter de définir la meilleure stratégie possible : aujourd’hui, dans la majeure partie des pays développés, la force armée meurtrière la plus avancée technologiquement est aux mains de professionnels, de mercenaires bien payés, tout dévoués au service du système étatique. Nous n’avons plus maintenant affaire à la troupe, aux « ouvriers sous l’uniforme » qui pouvaient mettre la crosse en l’air et que l’on pouvait espérer retourner. Si l’espoir des révolutionnaires était d’amener l’homme du rang à déserter, cet espoir aujourd’hui est plus qu’illusoire.

En outre, envisager d’utiliser une force armée, de plus en plus sophistiquée, pose également la question de l’accès aux armes modernes et aux marchands d’armes qui les font fabriquer et donc aux moyens financiers d’importance que cela implique.

On sait de même que certaines guérillas d’extrême gauche n’ont pas hésité à se lier aux narcotrafiquants et aux différentes mafias. Si nous pouvons regretter un manque de réflexion libertaire sur ce qui s’est passé en 2011, il nous faut cependant signaler le travail de Gaetano Manfredonia qui, de façon plus large, détournée, aborde ce qui nous intéresse.

Une réflexion surréaliste

Une réflexion surréaliste, dans la bonne acception de ce dernier terme puisqu’elle est tirée d’une revue vraiment surréaliste : Surréalisme, n° 1, « Ouverture », 1977.
« Les méthodes d’exploitation et de répression se sont perfectionnées beaucoup plus rapidement que les moyens de libération qui pouvaient leur être opposés. La supériorité des unes sur les autres est telle de nos jours qu’il n’est guère probable que le pouvoir puisse être battu sur son propre terrain, sauf par un pouvoir adverse, usant des mêmes armes et sujet aux mêmes abus. Il faut par conséquent mener aussi la lutte sur un autre terrain, qui est celui des réalités de la vie sensible et spirituelle, où le pouvoir est beaucoup moins bien organisé pour se défendre de la subversion. C’est qu’il est lui-même tributaire de forces irrationnelles dont le contrôle lui échappe et sur lesquelles il nous faudra agir pour l’abattre. Cela suppose que nous nous fixions des objectifs qui ne soient pas limités au seul domaine de la nécessité immédiate, mais qui soient de nature à aimanter tout le désir humain. Cela implique également que nous ne remettions pas à plus tard de répondre à la question du sens de la vie. »

Du côté marxien

Si des anarchistes se bornent à psalmodier leur catéchisme, des militants de culture marxiste ne craignent pas l’hérésie en réévaluant leurs positions. Sur ce sujet et de ce côté, la réflexion a démarré si l’on prend par exemple en compte un article de Jacques Wajnsztejn dans Temps critiques (juillet 2011).

Pour lui, « la difficulté d’analyser le moment présent provient précisément du fait qu’il échappe aux cadres des théories anciennes et aux schémas mentaux inculqués par la tradition révolutionnaire ».
Cependant, Jacques Wajnsztejn est plutôt mal à l’aise pour parler des phénomènes d’« indignation », d’« insubordination », de « résistance » et de « désobéissance civile », que ce soit dans les pays arabes ou en France, etc. Ce n’est pas sa culture ! Il écrit pourtant : « Une clarification s’impose afin d’échapper au dilemme : « pacifisme bêlant » ou « lutte armée », et de sortir des ornières où cette question s’est enlisée. » Nous ne dirons pas le contraire.

Par ailleurs, et à juste titre, il voit bien ce qu’ont de réformiste les différentes actions de désobéissance civile, plus particulièrement en France. Car ces actions n’impliquent pas une « révolte globale ». Grosso modo, on se tient dans le cadre d’une démocratie idéale, une « démocratie normative » qui n’est pas la « démocratie réelle », ainsi que l’a montré Tomás Ibáñez dans ses Fragments épars pour un anarchisme sans dogmes. Cette démocratie idéale, la plupart des « désobéisseurs » la pensent indépassable, de même qu’est indépassable le capitalisme que l’on ne remet, lui non plus, pas en question ; on voudrait tout au plus le moraliser !

Ainsi, pour la plupart des « désobéisseurs », d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée, la démocratie est vue comme « l’horizon commun souhaitable ». Démocratie qui s’appuie sur un droit écrit, droit étatique, droit qui s’élargit au droit non écrit, au droit moral, au droit éthique. Mais notre marxien néglige ce « sentiment éthique qui ne peut attendre aucune reconnaissance de la part de ce qu’il combat ».

Et se pose alors pour tous nos théoriciens une autre question : « Qui agit ? » et « quel est le sujet de l’histoire ? » Surtout quand on a éliminé un à un tous les anciens appuis de la révolte, comme le prolétariat qui devait s’abolir en abolissant toutes les classes. Il ne reste alors que des « valeurs ». Valeurs d’une minorité qui ne craint plus de s’opposer à une politique qui a l’appui de la majorité.
Tout en étant d’accord avec cette analyse, nous n’opposerons pas pour autant la révolte globale − la révolution − au réformisme. Et comme nous l’avions noté pour d’autres combats : « La lutte ouvrière pour de meilleures conditions de travail ne débouche que rarement sur… l’abolition du salariat ! Est-ce une raison pour ne pas y participer ? »
Cette dernière citation tirée d’un numéro commun à deux publications : Courant alternatif, hors série, n° 17, et Offensive libertaire et sociale, n° 30, de juin 2011 ; numéro qui avait pour sujet « les luttes de libération nationale, une révolution possible ? » et qui a amené de notre part une réflexion que l’on retrouvera sur le site du cercle Jean-Barrué (33) de la Fédération anarchiste (par ailleurs, à paraître dans la revue Réfractions). Et nous ajouterons que toute lutte, même réformiste − parce que nous en avons fait l’expérience −, peut être un lieu de radicalisation des combattants.

Le sujet de l’histoire

Quant au sujet de l’histoire, nous pourrions en avoir une approche nouvelle − qu’il faudrait associer à d’autres études − avec Robert Muchembled, par exemple, qui dans son Histoire de la violence au Seuil (2008) note que les violences en société sont essentiellement le fait de jeunes mâles d’une tranche d’âge entre 20 et 30 ans.

Cette analyse met au jour un aspect des mouvements sociaux qui n’a peut-être pas été suffisamment pris en compte dans les analyses : le désir de la jeunesse − les hommes et les femmes ensemble −, son pouvoir à changer le monde quand cette jeunesse s’insurge collectivement. Irions-nous jusqu’à dire que la jeunesse est un des principaux sujets de l’Histoire, un acteur qui peut entraîner avec elle la plus large tranche de la société civile ?

Nous élargirons cette remarque en disant que c’est la jeunesse qui prend des risques. Bakounine, quelque part dans ses écrits, ne mettait-il pas en avant l’action de la jeunesse ?

Un autre itinéraire

On s’intéressera par ailleurs au parcours d’un autre militant, également de culture marxiste, Bernard Ravenel, qui, dans un document de quelque quinze pages, retrace un itinéraire − le sien − qui va « de la résistance armée à la résistance non-violente » : il décrit là son implication auprès des militants palestiniens.

Écartant toute notion de morale ou d’éthique, ne s’appuyant que sur le déroulement des faits, celui qui pensait que « la violence est l’accoucheuse de l’histoire » en est venu à choisir la désobéissance civile, la non-violence : « Le choix actuel de l’action non-violente n’est donc pas le produit d’un choix éthique, idéologique, ni d’un choix tactique. Il est issu à la fois d’une pratique et d’un débat politique et stratégique : il entend répondre à une nécessité pragmatique et politique immédiate et peut-être à une nécessité historique. »
Pour lui et pour les Palestiniens qui ont choisi cette voie, la résistance populaire non-violente est l’« aboutissement » d’un douloureux cheminement après un « échec stratégique de la lutte armée » palestinienne qui a longtemps été vécu comme le seul moyen de libérer la Palestine.

Rappelons que le premier parti politique palestinien a été fondé en 1911 sous l’Empire ottoman ; ses revendications, sous le mandat britannique, déboucheront sur des rébellions armées de masse.
Ce qu’il faudrait retenir de la situation, c’est une dissociation entre les Palestiniens dits de l’« intérieur », qui n’ont aucun moyen de lutter par les armes, et ceux de l’« extérieur » qui utiliseront plusieurs formes de violence : terrorisme international, sabotages, attentats, attaques de commandos-suicides avec la tentative de créer des réseaux de guérilla, en territoire occupé, etc.

Par ailleurs, Bernard Ravenel, dans une plaquette de 80 pages (La Résistance populaire non-violente en Palestine, cahier de formation n° 23 de l’Association France-Palestine solidarité, 2009), met l’accent sur la stratégie de résistance non-violente qui est un aspect de la mobilisation populaire palestinienne – en insistant sur le terme de « populaire », c’est-à-dire sur toute la société civile –, cette résistance étant pour le moins occultée par la plupart des médias.
On pourra justement se poser la question de la raison de cette occultation, de cette volonté de rendre si peu visibles ces actions. D’un autre côté, il y a comme un « refus de savoir » de la part du public : ouvrir les yeux pourrait aller contre certaines habitudes de penser.
La plupart diront que la non-violence n’est pas le bon moyen pour se libérer d’un colonialisme et que la non-violence n’est pas présente dans la culture palestinienne et arabo-musulmane. Est-ce si sûr ?
Ce ne fut certes pas la voie choisie en Algérie. Daniel Guérin, dans Quand l’Algérie s’insurgeait, 1954-1962 (La Pensée sauvage, 1979), citait cependant, brièvement, des moyens de lutte « pas violents », tels que la non-coopération, la résistance passive, les grèves, l’éducation des masses, etc. Mais l’indépendance algérienne se fit dans la violence et donna le pouvoir à ceux qui avaient pris les armes, ou du moins à une minorité d’entre eux.

Si les Palestiniens n’ont peut-être pas, à proprement parler, une pratique de non-violence, ils ont une tradition affirmée de résistance pacifique : Bernard Ravenel rappelle une grève générale en 1936 qui dura six mois.

Cependant, après plusieurs guerres entre les pays arabes et les Israéliens, c’est l’impossibilité de vaincre l’armée israélienne et son État soutenus plus ou moins hypocritement par l’Occident − avec la Shoah en arrière-plan − qui va amener quelques Palestiniens − la stratégie de lutte armée à partir des frontières paraissant une impasse − à rechercher une autre voie : « la stratégie du désarmé ».

La stratégie du désarmé

En 1983, Mubarak Awad fait paraître une brochure – La non-violence, une stratégie pour les territoires occupés – puis fonde, à Jérusalem, en 1984, un Centre palestinien pour l’étude de la non-violence. En 1988, il fait un bilan de la première intifada (non armée). Mubarak Awad est alors expulsé par les autorités israéliennes vers les États-Unis.

Même si, pour Saleh Abd al-Jawal, la résistance armée est une option légitime, il critique cependant, dès 2001, la deuxième intifada (plus ou moins armée) et un affrontement total qui ne peut aboutir qu’à l’écrasement des Palestiniens. Il note également que les femmes sont presque totalement absentes de ces combats et que l’utilisation des armes « renforce les tendances non démocratiques dans la société ». Par ailleurs, on pourrait s’intéresser au fait que l’action non-violente modifie positivement les rapports interpersonnels de ceux qui la pratiquent.

La relance d’une mobilisation populaire et non-violente s’est faite en 2005 par l’intermédiaire des habitants du village de Bil’in − privés de la moitié de leurs terres par la construction du Mur −, et ce redémarrage s’appuie sur le bilan des deux intifadas, celle de 1987-1991 et celle de 2000-2005. Pourtant, déjà, un autre village, Boudrus, et quelques autres avaient ouvert la voie avec certes moins de publicité mais en coordination avec environ une quarantaine d’autres villages.
Ici donc se situe une interrogation sur la validité des stratégies de résistance face à l’extrême violence israélienne et aussi par rapport à la violence entre Palestiniens.

Si, aux yeux de l’opinion, la résistance populaire non-violente palestinienne se réduit à une résistance passive de gens désarmés, c’est pourtant de plus que cela dont il s’agit.

Il s’agit, entre autres, face à la communauté internationale, de rendre visible la violence de l’oppresseur devant le comportement pacifique de l’opprimé, sans pour autant nier le conflit. À cet effet, l’utilisation des médias, en particulier de la télévision, est prioritaire.

Cette non-violence − qui n’est donc pas l’absence d’une confrontation − doit faire l’objet de la visualisation maximale de sa transgression par une désobéissance civile de masse. Il faut gagner « politiquement » et « moralement » la bataille et amener le monde à se solidariser avec les opprimés.

Ce résultat fut atteint quand des militants internationaux et des Israéliens nommés « anarchistes contre le mur » s’engagèrent aux côtés des Palestiniens, quand une action internationale de « boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS) fut lancée contre Israël. Mais là ne s’arrête pas le mouvement.

Le gouvernement israélien est plus sensible qu’on ne veut bien le croire à cette nouvelle stratégie ; sa répression se révèle bien plus importante que contre les actions violentes : en effet, tous les cadres non-violents sont en prison ; il est maintenant plus facile de faire dégénérer les manifestations. S’y ajoute l’introduction de provocateurs policiers israéliens le visage couvert du keffieh.

Combattre des gens armés (ou qui lancent seulement des pierres) paraît plus légitime, surtout aux yeux de l’opinion internationale, que s’attaquer à une population qui s’avance sans armes.
Cette lutte − tout comme d’ailleurs n’importe quelle lutte armée − implique une grande détermination − un héroïsme − de la part des masses qui manifestent, et les Palestiniens doivent en cela dépasser leurs réactions immédiates, instinctives et émotionnelles pour se libérer, libération qui ne se fera sans doute qu’avec l’aide de la solidarité internationale. Il s’agit de faire bouger l’opinion israélienne.

La sempiternelle caricature

En passant, pour ceux, anarchistes compris, qui se complaisent dans l’imagerie violente et déformée de l’anarchisme : des lanceurs de bombes, des exécuteurs de rois, de tsars et de présidents de la République, on voudra bien noter qu’un chrétien, blanc, en Norvège, en juillet 2011, a massacré presque une centaine de ses concitoyens pour réveiller les foules inertes qui ne réagissent pas suffisamment à l’émigration pacifique des populations du Sud. On notera que ce dernier argument − créer un sursaut dans la population − fut utilisé par nos propres terroristes qui, certes, ont tué moins de monde.

L’immolation, en Tunisie, de Mohamed Bouazizi, en décembre 2010, s’est révélée d’une autre efficacité. Pour autant, un certain nombre d’Algériens ont à leur tour livré leur corps aux flammes sans provoquer plus d’émotion que ça.

André Bernard, Pierre Sommermeyer