« Ne rien faire maintenant serait un suicide pour le Pakistan ! Je ne peux le permettre » (général Musharraf.)
Voilà donc un nouveau coup d’État militaire. Surprenant ? Non certainement pas, logique assurément ! Le général Musharraf, qui présidait aux « destinées » du Pakistan depuis 1996, vient de jeter le masque et d’assumer institutionnellement tout le pouvoir qu’il exerçait de fait.
Les faits
Le général, arrivé au bout de son mandat de président, s’est représenté devant ses électeurs et a été réélu sans problème le 6 octobre 2007. Cette élection doit être confirmée par la Cour suprême dont le premier magistrat, le « Chief Justice » Chaudhry, a été limogé par Musharraf le 9 mars 2007 puis réintégré sous la pression du monde judiciaire et des militants des droits de l’homme. Mais ce juge trouve inconstitutionnelles les deux casquettes du président, à la fois chef de l’État et chef des armées. D’autre part, des élections législatives doivent avoir lieu en janvier 2008, et le général-président trouve son assise populaire assez mince. Il a donc monté une opération de réconciliation nationale. Par ce geste il a ouvert la voie au retour d’exil de celle qui apparaît comme sa principale opposante, Benazir Bhutto. Cette dernière arrive à Karachi, la principale ville du pays, le 18 octobre 2007 bien qu’elle ait été avertie de la possibilité d’un attentat contre elle. Celui-ci a lieu et cause plus de 130 morts et 300 blessés.
Les principaux personnages de ce drame sont en place. Le général oint par ses pairs militaires et la représentation nationale, la représentante de l’opposition couverte du sang de ses martyrs et le juge drapé dans sa légitimité juridique. C’est ce dernier qui apparaît comme le danger immédiat pour Musharraf. Pour lui régler son compte, il suffit de suspendre la Constitution, et c’est ce qui est fait le 3 novembre.
Comment en est-on arrivé là ?
Le Pakistan n’est pas un pays « naturel ». Il ne s’est pas forgé au cours des siècles. C’est un pays artificiel. Il a 60 ans ! Il est né le 15 août 1947 d’une scission de l’empire indien britannique qui cesse d’exister ce jour-là. Pakistan signifie le « pays des purs ». Il est situé à ce moment-là de part et d’autre de l’Inde. À l’est, ce qui deviendra le Bangladesh plus tard et, à l’ouest, le Pakistan actuel.
Cette création ex nihilo est l’échec majeur de la lutte menée par Gandhi et les siens. Les nationalistes musulmans d’alors ne purent accepter l’idée de la création d’une république laïque telle que leurs compagnons de lutte indiens la concevaient et ils eurent aussi peur d’être engloutis dans une majorité hindoue.
Cette création va donner lieu au plus gigantesque exode que le monde ait jamais connu. Six millions de musulmans quittent l’Inde laïque vers le pays des purs et dans l’autre sens quatre millions d’hindous et de sikhs fuient en direction de l’Inde. En cours de route des violences meurtrières (environ 200 000 victimes) opposent les déplacés. D’un côté comme de l’autre, des bandes armées de couteaux et de haches s’acharnent sur les déplacés, qu’ils soient sur les routes ou dans les trains.
Le Pakistan, pays indépendant
Dès la création du pays, les féodaux locaux prennent le pouvoir. Ils ne se sont pas investis dans la lutte contre les Anglais, même pas du côté musulman. Ils ne connaissent que la forme coloniale de la gestion publique. Dans les dix années qui suivent, 7 premiers ministres et 4 présidents se succèdent au pouvoir.
En 1958, l’armée prend le pouvoir. Elle est de fait la seule institution nationale dans ce pays aux fondations fédérales puisqu’elle rassemble des individus de toutes les ethnies. Ayub Khan, premier des généraux-sauveurs, va diriger le pays pendant dix ans. C’est l’époque de la guerre froide, les USA sont à la recherche d’alliés pour encercler l’URSS. Les dollars, les armes, les conseillers vont inonder le pays. Le premier résultat est la guerre avec l’Inde en 1965 et l’aggravement de la situation économique du pays. À la fin de cette décennie, on raconte que 22 familles contrôlent le pays. La révolte gronde. La partie orientale, qui ne supporte plus la dictature militaire, acquiert son indépendance et devient le Bangladesh.
En 1971 un nouveau leader civil arrive au pouvoir, Zulfikar Alî Bhutto. C’est tout sauf un démocrate. Il nationalise de larges secteurs de l’économie, il renforce la bureaucratie, développe le clientélisme, lance le programme nucléaire pakistanais et s’achète la sympathie des mollahs par des subventions appropriées.
En 1977, l’armée revient, avec général Zia, pour remettre de l’ordre, comme toujours et partout. Bhutto, convaincu de conspiration est pendu. Le nouveau pouvoir va islamiser le pays. Il crée des lois, des tribunaux et des impôts religieux. Il soutient les « madrassas », séminaires fondamentalistes, et modifie les programmes scolaires afin d’instaurer un nationalisme islamique et conservateur. Les États-Unis, principal allié, ferment les yeux. Ils ont besoin du Pakistan comme base arrière dans leur lutte contre l’URSS en Afghanistan. L’armée entraîne et arme des militants islamiques grâce à l’argent américain et les envoie de l’autre côté de la frontière combattre le communisme athée. Le « jihad » est né.
En 1988, le général Ziad meurt avec l’ambassadeur des États-Unis, un général américain et 28 officiers pakistanais dans un mystérieux accident d’avion.
Des élections ont lieu. Le PPP (Parti du peuple du Pakistan) est victorieux. Un nouveau groupe de dirigeants arrive au pouvoir, dont Benazir Bhutto, auréolée du « martyre » de son père. Il y aura 9 Premiers ministres en dix ans. S’ils n’ont pas tous courtisé les mollahs, aucun n’a tenté de faire marche arrière. L’armée réclame et obtient la part du lion des ressources nationales. L’économie entre en crise et un tiers de la population tombe en dessous du seuil de pauvreté. Cela n’empêche pas les militaires de continuer d’amplifier l’aide aux talibans. Le but est de mettre sur pied un régime inféodé au Pakistan. Le même mécanisme fut mis à l’œuvre au Cachemire où les habitants luttaient depuis des lustres pour leur autonomie. Le chaos ainsi créé amena les deux côtés, en 1998, à faire des expériences nucléaires, puis se déclarant la guerre ils se menacèrent de destruction atomique. Les autonomistes locaux furent noyés dans le feu des deux armées opposées.
Musharraf au pouvoir
L’arrivée de Musharraf en 1999 se fit dans l’indifférence générale et probablement le soulagement de tous. Ce militaire prit l’engagement de tous les militaires quand ils arrivent au pouvoir, celui de ne pas y rester longtemps...
C’est alors que vint le 11 septembre. Les États-Unis cessèrent de regarder Musharraf d’un mauvais œil. Il leur fallait un allié sûr dans leur lutte contre « l’axe du mal » et l’argent se remit à couler à flots (10 milliards de dollars !) et la demande de démocratisation disparut. L’invasion américaine de l’Afghanistan eut pour conséquence de repousser les talibans vers les régions frontalières du Pakistan, appelées « régions tribales ». La pression américaine obligea l’armée pakistanaise, peu convaincue, à se retourner contre ses créatures islamistes. Bombardements et tirs de missiles obligèrent des milliers de personnes à se réfugier dans les villes pakistanaises proches. Sans toit, sans travail, ces réfugiés devinrent des proies prêtes à être utilisées comme des poseurs de bombes. L’affrontement entre l’establishment militaire pakistanais et la mouvance islamiste connut son apogée dans l’assaut de la « Mosquée rouge » le 10 juillet 2007.
Et maintenant ?
Benazir Bhutto apparaît comme l’espoir, le retour à une vie meilleure. Voici le slogan de son parti : « Du pain, des habits et un logement ! » Mais, dans les faits, cette dirigeante a fui son pays parce qu’elle était soupçonnée de corruption et autres enrichissements personnels. Elle revient en accord avec Musharraf. Elle revient la tête recouverte du voile traditionnel pakistanais, le dupatta, qui symbolise la pureté féminine et montre aussi sa soumission aux courants religieux traditionalistes. Ce qui fit dire à un éminent médecin : « C’est la plus grande façon de desservir la cause des femmes. »
Ce sont elles qui sont pour partie à l’origine du bras de fer entre le général et le Chief Justice. Ce dernier a non seulement jeté le doute sur la candidature de Musharraf, mais a aussi commencé à instruire les plaintes de harcèlement et de mauvais traitement faits à l’encontre des femmes ; de même il a ouvert le dossier des personnes disparues, nombreuses victimes de la répression politico-militaire permanente dans ce pays. C’est autour de cet homme, originaire de l’aristocratie, que s’est formé ce que les médias appellent la société civile. C’est-à-dire un ensemble disparate rassemblant aussi bien des juristes de toutes sortes que des militants des droits de l’homme. Et c’est contre eux que la répression s’abat aujourd’hui au nom de la lutte contre le terrorisme.
Dans ce pays de 160 millions d’habitants, un tiers de la population vit dans les villes. L’espérance de vie est de 65 ans en moyenne, contre 80 en France. Le produit national brut le classe dans les 50 pays les plus riches du monde, mais par habitant il est 180e sur 227.
C’est un pays en guerre, sur trois fronts, l’Afghanistan, contre les talibans, le Cachemire contre l’Inde et le Baloutchistan contre les sécessionnistes locaux.
Toute l’économie est aux mains des militaires. Ils gèrent des provinces entières, des compagnies nationales. Ils sont intéressés par les banques et assurances de toute sortes comme par des fabriques de ciment ou d’engrais. Il n’est pas question qu’ils lâchent quoi que ce soit.
Derrière le rideau de fumée institutionnel, ils sont le véritable pouvoir. Ils savent que les Américains ne les lâcheront pas et que les dollars continueront à affluer. Peu importe que le peuple soit dans la misère, leurs galons seront toujours dorés.
Informations rassemblées à partir du site Countercurrent.net