Au moins 3000 personnes ont assisté à l’enterrement d’un jeune garçon, Alexis Grigoropoulos, elles ont applaudi quand le cercueil recouvert de fleurs blanches a franchi les portes d’une église orthodoxe dans la banlieue cossue d’Athènes. Il a été tué par un policier au cours d’une manifestation le samedi 6 décembre. Cet assassinat a mis le feu aux poudres. La version officielle dit qu’il a été causé par le rebond d’une balle,. Ce qui ne convainc personne. Selon une journaliste grecque, entendue à une émission de télé française, il y a aurait eu beaucoup de morts par rebond de balles ces dernières années. Ce meurtre a eu lieu quelques jours avant la date prévue pour la grève générale. La conjonction de la colère de la jeunesse et de l’arrêt de travail va-t-il créer les conditions d’une irruption du peuple dans la vie politique grecque, rien n’est moins sûr. Au moment de la rédaction de cet article, cela fait six jours que la révolte gronde, que les charges de police se succèdent, que les arrestations se poursuivent, non seulement à Athènes mais dans tout le pays. Le gouvernement a réagi, il a promis aux commerçants dont les vitrines sont parties en éclat de prendre en charge les réparations. Accessoirement il semble que ce sont surtout les devantures des banques et des commerces de luxe qui ont eu maille à partir avec la vindicte des manifestants. A ce propos, l’écrivain Vassili Alexakis dit « les gens entrent par la vitrine parce qu’ils ne peuvent plus entrer par la porte ».
On peut dénoter trois raisons aux origines de cette explosion. Il y a d’abord et bien sur la brutalité de la police liée à un corps de juges, revanchard tel qu’il apparu lors du procès du groupe du 17-Novembre en 2003. Ensuite, comme ailleurs l’économie est en berne et le patronat affiche un libéralisme exacerbé. Enfin la corruption est présente partout, que ce soit en politique où deux familles se partagent le pouvoir ou dans l’Eglise orthodoxe corrompue, monomaniaque et monolithique, le tout joint au trou financier créé par les travaux nécessaires au Jeux Olympiques.
La corruption
Il serait fastidieux d’établir un catalogue de ces actes dans n’importe quel pays. En Grèce ils sont une des raisons du ras-le-bol actuel. Il y a eu le scandale du Mont Athos, évoqué plus bas qui a entraîné la démission du ministre porte parole du gouvernement. Un conseiller du premier ministre a été condamné pour trafic d’influence, Accusé de fraude fiscale, le ministre de la Marine marchande M. Voulgarakis a démissionné, un armateur accuse un ancien ministre de chantage. Il y a semble-t-il aussi la corruption quotidienne pour un médecin, un permis de conduire ou une entrée à l’université.
La répression
Elle touche tout ce qui relève d’une façon ou d’une autre de l’opposition extra parlementaire, donc les anarchistes. En 1999, pour ne pas remonter plus loin, Nikos Matzotis, affirmant à son procès : « je peux dire en toute conscience être anarchiste », était condamné à quinze années de prison. Il est accusé d’avoir posé une bombe, qui n’a pas explosé, au cours d’une lutte de solidarité avec les habitants de la baie de Strymonikos, dans la Macédoine grecque, en lutte contre les installations métallurgiques de traitement de l’or de la multinationale canadienne TVX. Lors de son procès il raconte que sa politisation a commencé, en 1985, avec sa participation à une manifestation. qui protestait contre le meurtre par « un flic, un certain monsieur Melistas, » d’un garçon de quinze ans, Michalis Kaltezas. Suite à cela il y eut l’occupation de l’Ecole Polytechnique et le répression générale qu s’abattit alors. C’était de cette école que parti, le 17 novembre 1973, le mouvement de contestation qui mit fin au régime des colonels installé en 1963 avec la complicité des USA et le silence des pays européens. Quelques années plus tard, en 1977, on trouvait dans la presse anarchiste française un appel à la solidarité contre la répression qui touchait les compagnons grecs. Aujourd’hui selon le site Anarchopedia il y a trois anarchistes qui attendent leurs procès et un autre condamné à 35 années de prison pour vol de banque à main armée.
La politique
Plus qu’ailleurs c’est une affaire de famille. La Grèce est sortie exsangue de la dernière guerre mondiale. Derrière l’occupation du pays par les Allemands il y avait une guerre civile en cours entre les communistes et les conservateurs. Une fois la guerre mondiale terminée, la guerre civile reprit à l’instigation de Staline et dura jusqu’en 1949, date de la défaite des communistes conséquence de la rupture entre Tito et Moscou. Encore aujourd’hui il est difficile de parler avec les Grecs de cette période là. Le pays aurait perdu jusqu’à 8% de sa population, la guerre civile ayant fait 150 000 morts, des dizaines de milliers de personnes se sont réfugiées alors dans les pays communistes alentour. A partir de ce moment là deux familles se partagent le pouvoir, une à droite, les Caramanlis et une à gauche ( ?) les Papandréou. En alternance soit l’une soit l’autre vont exercer le pouvoir. Aujourd’hui le premier ministre est le neveu de Georges Caramanlis qui a été au pouvoir de 1974 à 1985, en face, le président du parti social-démocrate (Pasok) est le petit fils de Georges Papandréou , premier ministre trois fois avant les colonels et fils d’Andréas du même nom qui dirigea le pays de 74 à 89 puis de 93 à sa mort en 98.
Le Parti Communiste est la troisième force politique du pays. Il a la réputation d’être un des derniers bastions du stalinisme en Europe. Présent au Parlement avec 12 députés sur 300, opposé à l’Union européenne, il tire sa légitimité de la guerre civile.
Les syndicats « ouvriers » sont complètement inféodés aux partis de gauche, celui des fonctionnaires est dans la main du Pasok, le syndicat paysan dans celle du PC et la grande confédération du travail se partage entre ces deux partis. Coincée entre les trois partis parlementaires la société civile n’existe pas, ni ONG, ni mouvement associatif autonome. Malgré tout comme Françoise Arvanitis l’avance dans son livre La Grèce des Grecs « les Grecs ont gagné trop tard leur liberté pour admettre qu’on empiète de quelque manière sur leurs droits à l’exercer » et ajoute que la conséquence en est une grande tolérance du public et des autorités envers les grèves purement corporatistes. Il est clair qu’aujourd’hui que cette tolérance est à l’épreuve et que le ras le bol de la population risque de se retourner contre le pouvoir en place.
L’église
Depuis plusieurs siècles l’Eglise orthodoxe incarne la Grèce. Elle a été l’endroit où survivait la culture locale lors de la présence de l’impérialisme ottoman. La constitution du pays instituée après le régime des colonels l’a été « au nom de la Sainte, Consubstantielle et Indivisible Trinité ». Il a fallu attendre 2001, conséquence de la présence de la Grèce dans l’Union Européenne pour que la mention de la religion sur la carte d’identité soit supprimée. La décision est révolutionnaire dans un pays où l’on considère que l’identité nationale repose sur l’orthodoxie. Le haut lieu de cette église, le Mont Athos et son monastère, est au cœur des derniers scandales qui ont ébranlé le gouvernement conservateur en place. Les moines ont bénéficié d’un échange inégal avec le gouvernement qui leur a refilé en 2004 des bâtiments flambants neufs construits pour les JO contre huit mille hectares de forêt. Le contribuable grec y a perdu cent millions d’euros.
La Famille
Il faut lui mettre une majuscule car elle joue un rôle décisif dans ce pays comme on l’a vu pour la vie politique. C’est l’endroit où règne la femme. Pour beaucoup de mâles, tout irait mieux en Grèce si elle y restait. La famille est l’endroit refuge ; c’est là que la solidarité s’exerce, c’est là que l’on prend soin des anciens. La société grecque depuis la nuit des temps est une société campagnarde. Son urbanisation est récente et mal vécue. Conséquence de cette situation de blocage, afin de pouvoir s’échapper du cocon familial, les femmes grecques ont très peu d’enfants.
La jeunesse
Le taux de fertilité est l’un des plus bas d’Europe. Donc peu d’enfants, une éducation universitaire d’un relativement haut niveau, soit sur place soit en Italie, en France ou en Angleterre et pas d’emploi, puisqu’ils sont trustés par les plus vieux. Les jeunes appartiennent à cette génération 600 euros. Le passage à la monnaie européenne a été une catastrophe économique. Plus qu’ailleurs le coût de la vie a explosé. Comme pour beaucoup de Grecs il faut deux boulots pour vivre, il est normal d’un point de vue arithmétique qu’il n’y ait plus de travail pour les jeunes Donc tous les ingrédients d’une explosion sont en place. Ce que le pouvoir en place reprochera au policier tueur, c’est d’avoir allumé la mèche. Et maintenant ?
Est-ce un début ou une fin ? La société grecque, plus qu’ailleurs, n’a pas de perspective d’avenir. Une alternance politique est possible mais ce ne peut être une alternative. Nous depuis le début de la crise. On peut se demander si c’est la première manifestation de la colère dans ce nouveau cycle qui commence ou la dernière du cycle économique précédent, lorsque nos chers dirigeants nous donnaient l’impression de savoir ce qu’ils faisaient. Il est clair que c’est difficile à dire, même si je pense pour la deuxième hypothèse. Au fond cela n’a pas d’importance. Dans les mois ou les années qui viennent les masques vont tomber, ouvriers, employés, intérimaires à la petite semaine, chômeurs potentiels ou actuels, retraités de tout poils, nous allons nous apercevoir, à nos dépens, que les promesses de nos dirigeants reposent sur du vent, que la seule réalité du Travaillez plus pour gagner plus ! est et sera la première partie du slogan, et encore, pour ceux qui auront encore de quoi suer.