A) Le concept.
L’apparition du terme "Réforme radicale" date de 1967/68, dans la littérature spécialisée française. En 1962, aux U.S.A. le Professeur G. Williams de l’Université de Harvard publiait un livre portant ce titre.
Nous sommes donc face à un concept relativement récent. Jean Séguy dans un livre consacré à un pionnier des coopératives et de l’oecuménisme Cornelius Plockhoy (1620/1700 ) et paru au début 1968 présente ce concept et l’argumente.
"Si, écrit il, avec l’historiographie contemporaine on distingue dans cette vague de fond des aspects catholiques et d’autres protestants, on peut appeler troisième Réforme ou "Réforme radicale" celle des sectes". En s’appuyant sur les analyses de Ernst Troeltsch , il qualifie les groupes relevant de cette Réforme de "groupes contractuels de confessants ".
Ces groupes se retrouvent d’accord pour voir dans l’église une communauté volontaire formée par des individus passés par la conversion et qui se tiennent tous ensemble sous le gouvernement de Dieu. Il s’agit pour eux de renouer avec l’église primitive, c’est à dire celle d’avant Constantin. et telle qu’on la retrouve dans le Nouveau Testament. Parmi les Sacrements, ne sont retenus que la Cène et le Baptême, réduits à des actes symboliques .Ces groupes refusent de même la différence clercs-laiques, tout membre de la communauté pouvant accéder aux responsabilités religieuses par la seule valeur de ses vertus en non par la grâce d’une formation théologique quelconque. En théorie il n’existe pas dans ces communautés de spécialiste religieux. A ces points purement théologiques les radicaux joignaient celui de la non-mondanité, c’est à dire vivre en se tenant éloigné des modes et des activités de la société. La Trinité, parce qu’elle était absente du nouveau Testament, fut un objet de discorde parmi les réformés radicaux.
Dans un article écrit pour un colloque (1977) sur l’Humanisme à Strasbourg, un américain, John Yoder reprend le concept de"Réforme radicale" en faisant expressément référence à G.Williams, ce que ne faisait pas J. Séguy qui, malgré tout le cite dans sa bibliographie. Yoder ne mentionne en aucune façon Séguy, alors qu’il écrit 10 ans après lui. Malgré cela il n’y a pas de désaccord sur le fond ; aux différences d’avec la Réforme citées par Séguy, Yoder ajoute "le refus du glaive, du serment et du prêt à intérêt". A propos du rôle du permanent ecclésial, il ajoute "le serviteur est appelé par l’assemblée, qui l’entretient et en qui il trouve la légitimité ecclésiastique nécessaire. Ce fonctionnement produit "une forme d’institution capable de vivre
contre le pouvoir."
Plus que toutes ces idées ce que l’histoire va retenir de cette troisième Réforme, c’est la dispute à propos du baptême des enfants .C’est ce sacrement qui marque la différence entre les églises issues de la grande Réforme et celles constituant la "Réforme radicale". Cette divergence perdure de nos jours encore. Un mouvement religieux porte le flambeau du baptême des adultes, c’est l ’ Anabaptisme.
B) Les acteurs
Ce courant n’est pas le seul qui soit né à ce moment là même s’il est le plus célèbre, de même sa problématique n’a pas pris naissance dans les montagnes suisses comme par miracle, certains avaient déjà dans le passé affirmés ce genre de position. Nous serons amenés à en parler. A côté des rebaptiseurs, il y avait les anti- trinitaristes que l’on appelait Sociniens (ou Socinianistes) du nom de leurs inspirateurs Lelio et Fausto Socini, suivis au siècle suivant par la Société des Amis ou Quakers. Il y eut aussi ceux que Séguy et Yoder appellent les spiritualistes, c’étaient essentiellement des individualités comme Sébastien Franck ou Gaspard Schwenckfeld, dont il ne sera pas question ici.
1)Les Anabaptismes
Les historiens ont par le passé proposé deux endroits de naissance à l ’ Anabaptisme, soit à Zwickau en 1521 avec les prophètes de ce lieu d’où est issu aussi Thomas Münzer, soit en Suisse, à Zurich, à partir de 1523. C’est cette dernière indication qui a été retenue. On peut même dater précisément le moment où les Anabaptistes se séparèrent de l’entourage du réformateur Zwingli et, mis en demeure par celui ci de rejeter le re-baptême, ils transgressèrent l’édit et devinrent de fait une autre église. Il s’agit probablement du 21 janvier 1525. Depuis déjà deux ans les discussions, dans les cercles réformés, à propos du pédobaptisme faisaient rage. C’est après un dernier débat entre les leaders rebaptiseurs et Zwingli que la rupture eut lieu et que débutèrent les persécutions contre ces hérétiques. Leur premier leader s’appelle Conrad Grebel , il mourra en prison en 1527. C’est la même année que se tient le premier synode anabaptiste près de Schaffhausen qui adopte ce qui sera connu sous le nom de "confession de Schleitheim". Leur Credo est alors rédigé sous forme de sept
articles : baptême des confessants, excommunication des pêcheurs, la Cène seulement aux confessants et comme mémorial, séparation d’avec le monde, intégrité des pasteurs de l’église, refus de l’usage de l’épée, celle ci relevant uniquement du magistrat pour la punition des malfaiteurs, et enfin refus du serment. Zwingli, tout comme Calvin plus tard, s’élèvera vigoureusement contre cette confession.
Le problème de l’épée sépare les Anabaptistes en deux branches : celle pacifique dans la lignée des frères suisses, et celle militante qui veut le paradis ici et maintenant. Nous reviendrons plus loin sur le problème de la guerre des paysans, il suffit de dire que la bataille de Frankenhausen eut lieu en 1525. Elle fut le début de l’écrasement de la révolte paysanne. La tendance militante se manifesta par plusieurs tentatives de prise du pouvoir en 1534, en particulier en Hollande, à Deventer, Leyden et Amsterdam, toutes échouèrent. Elle réussit en Allemagne, et prit le pouvoir à Münster en y installant le royaume de Dieu. Commencée d’une façon qui se voulait évangélique, cette "révolution " se termina en mascarade avant d’être ecrasée dans le sang par les troupes de l’évêque de la ville. Les persécutions redoublèrent avec maintenant Münster comme alibi. Dans les Pays Bas un curé défroqué, dont le frère semble-til
était mort dans la ville insurgée, rassembla les communautés éparses et les structura. Il
donna ainsi naissance à ce qui est devenu les églises mennonites. Une tendance
communautaire anabaptiste se rassembla dans la région d’Austerlitz, composée de membres d’assemblées originaires de Moravie et d’autres conduits par Jacob Hutter et venant du Tyrol.
Sous les coups de la persécution, ils se sont tous repliés sur la Moravie. Hutter est fait
prisonnier et brûlé en 1536. Il laisse son nom à ces ensembles communautaires que sont les Brüderhof Huttérites. On retrouve aujourd’hui dans le monde entier de ces communautés anabaptistes, en France, aux U.S.A., aux Pays Bas, jusqu’au Paraguay, après un passage mouvementé en Russie que les dernières quittèrent lors du reflux des troupes allemandes en 1945.
La présence d’Anabaptistes en Moravie n’est certes pas un hasard. Il y subsistait des restes de la réforme hussite, dont le déroulement pouvait présager l ’ aventure anabaptiste.
2) Les anti-trinitariens
L’autre groupe religieux issu de cette réforme radicale, les Sociniens, connut une persécution tout aussi forte mais une histoire beaucoup moins agitée.
L’anti-trinitarisme a d’abord été le fait d’individus isolés, d’intellectuels comme Michel Servet en France ou Lélio et Fausto Socini en Italie. Ce refus ne prendra dimension ecclésiale que dans l’Europe de l’Est, plus particulièrement en Pologne sous la forme de l’Eglise Unitarienne.
Les divergences d’avec l’Anabaptisme se situent spécialement au niveau du mode de réflexion .Il y a accord sur le baptême, la non-mondanité, le non-usage des armes et le refus du serment. Au contraire la réflexion est avant toute une recherche de la raison, il y a une volonté de rationalité, par exemple, la doctrine de la Trinité, ne se trouvant pas dans le Nouveau Testament, et répugnant à la simple raison, est rejetée. Pour Jean Séguy "son christianisme est libéral avant la lettre".
L’Eglise Unitarienne se forme en Pologne au début du XVI° siècle au carrefour de certaines tendances polonaises de l’Unité des Frères et de formes locales de l’Anabaptisme. Le catéchisme de Rakow (1605) ville universitaire où la liberté de pensée et de religion est totale, débute par ces mots :"Laissez chaque personne jouir de la liberté de jugement en ce qui concerne la religion". Cela se passa de même en Transylvanie et en Hongrie. .Les persécutions commencent au XVII° siècle et l’Eglise disparaît presque complètement. De nos jours il existe encore, selon Séguy,de nombreux Unitariens en Roumanie, en Grande Bretagne ainsi qu’aux Etats Unis. Les Anglo-Saxons ont repris les principes de l’église originelle formant une Eglise tournée autant vers l’exaltation de Dieu que de l’homme.
Toutes les études sur cette période de la Réforme, dès que le problème des sectes est abordé font apparaître la présence ou bien l’influence de l’Unité des Frères. Nous sommes devant de le problème toujours posé de la filiation des mouvements .La réforme radicale est elle fille du mouvement hussite(les Taborites puis l’Unité des frères ) et antérieurement des disciples de Pierre Valdo ? Il semble bien qu’il y ait eu des liens, des influences mais le fond de problème étant le même, c’est à dire la sécularisation de l’Eglise officielle d’une part et la permanence des écrits bibliques de l’autre, tous les mouvements concernés ont répondut de façon similaire.
3) Les quakers
Si la réforme radicale débute en 1523/25, elle ne s’arrête pourtant pas avec l’arrivée de Menno Simons. La Grande Bretagne fut aussi un lieu de fermentation religieuse intense. A côté d’une réform e exclusivement d’Etat, l’Anglicanisme, et en opposition, se forma un parti puritain, partisan du modèle continental de la Réforme. Autour de ce parti se formèrent les premières sectes. Les Congrégationalistes puis les Baptistes reprirent certaines des idées théologiques des Anabaptistes pacifiques mais rejetèrent l’attitude radicale de ces derniers vis à vis des armes et de la non mondanité. Un courant millénariste apparut sous la forme des "Hommes du Cinquième Royaume" qui mirent un moment Cromwell lui même en danger, ainsi que des groupes à revendication plus sociale comme les "Levellers" et les "Diggers".
Au milieu du XVII un cordonnier appelé Georges Fox (1621/1691) rassemble autour de lui, après des années de vagabondage spirituel un certain nombre de gens qui se retrouvent dans la formulation anarcho-religieuse de sa foi. Reprenant les bases de l’Anabaptisme, il poussa cette radicalité à son extrême, refus des titres, du vouvoiement, des formules et de la pratique de la politesse, égalitarisme absolu, antisacrementalisme total (ni cène ni baptême) l’inspiration personnelle est à égalité avec les Ecritures Saintes. Ce regroupement prit le nom de Société des Amis plus connus sous le nom de Quakers. En 1652 ils ont 25 missionnaires, vingt ans
plus tard il y en a soixante. A la même époque on estime à 15000 environ le nombre de
Quakers poursuivis devant les tribunaux, dont 450 mourront en prison. En 1681 William
Penn, l’un des leurs,crée la"sainte expérience "de la Pennsylvanie. Deux cents ans plus tard Alfred de Vigny disait, qu’ils constituaient "la secte la plus pure de la épublique universelle du Christ"
La "Réforme radicale" est née et s’est développée entre les réformes officielles de Luther, Zwingli et Calvin .Formée essentiellement des Anabaptistes militants et pacifiques elle a aussi d’autres composantes, Unitariens puis Quakers. Ces groupes ont été la cible de persécutions, et objets de répulsions pour tous les Réformateurs.