ML juillet 2005
La Chine s’est invitée par le biais des Tshirts, des chaussettes et des pantalons dans le débat sur la constitution européenne. Elle vient de démontrer l’inanité du pseudo universalisme de l’évangile libéral en appliquant à la lettre les consignes de l’OMC, mais à son profit. En refusant de changer le cours de sa monnaie, elle rappelle que c’est elle qui tient le système monétaire international en laisse à travers le déficit américain.
Et bien voilà, les temps ont changé. Et le nouveau partenaire joue le jeu avec ses propres règles. Nous allons voir si dans les années qui viennent, un nouveau protectionnisme verra le jour. De quel poids un secteur sinistré comme le textile peut-il avoir, face à la nécessité de vendre à l’empire du Milieu des produits « high tech » comme le TGV, l’Airbus ou les centrales nucléaires. L’eldorado, tant chanté par nos économistes, laisse la place petit à petit à un tigre indomptable par nos stratèges. Car la difficulté est de deux ordres, sa place sur l’échiquier mondial en tant que producteur de biens de grande consommation et son marché intérieur dont on pense qu’il va, en se développant, attirer à lui l’essentiel de la croissance mondiale et donc du pétrole. Pendant ce temps dans le pays même, un jeu de chaises musicales a lieu sans que personne n’en connaisse les règles. Y a t-il une P... ou pas ? Pour le pouvoir chinois, il n’est pas question de Privatisation. C’est un concept qui n’existe pas dans la langue du pouvoir. Cela va à l’encontre de l’héritage marxo-maoiste. Dans la mesure où le procès des temps passés n’a pas été explicitement fait, il n’est pas possible de tourner le dos à cette histoire. On parle donc du « secteur non gouvernemental », de vente (buy out) d’entreprises peu importantes.
Cette contradiction entre ce qui se passe réellement et le refus de nommer cette évolution reflète bien la réalité de ce pays immense qui commence à faire peur au reste du monde. La règle est de garder ce qui est important et de se défaire de ce qui est petit. L’industrie du textile est passée par exemple d’un contrôle total par le pouvoir à une propriété privée. Cela dit, il ne faut pas tenir cette situation pour acquise selon les règles occidentales. Le gouvernement chinois ne dispose pas d’un service apte à calculer la valeur exacte de ses avoirs industriels. Il n’existe pas une législation précise du droit des affaires. Il y a une Commission (Sasac) dont la tâche est de contrôler les entreprises qui appartiennent au pouvoir central. Cette Sasac a déclaré dernièrement que les biens vendus l’avaient été dans des conditions pour le moins troubles et au plus bas prix. Ce qui a entraîné aussitôt l’arrêt de toute forme de cession. Puis elle a déclaré qu’elle contrôlait 178 entreprises, ce qui a déclenché aussitôt une campagne de protestation, qui a eu pour conséquence que les correspondants de cette commission dans les autres provinces ont dû déclarer à leur tour qu’ils contrôlaient d’autres entreprises d’Etat. Tout cela montre à quel point l’Etat chinois ne sait pas ce qu’il possède. Ce n’est pas parce qu’une entreprise se déclare et fonctionne comme une entreprise privée qu’elle ne risque pas de cesser de l’être. C’est ce qui vient d’arriver à une de ces sociétés qui viennent d’effrayer les Européens par la qualité de leur production. Il s’agit de Haier. Spécialisée dans la construction de biens ménagers, réfrigérateurs, lave linges, lave-vaisselle au design d’avant-garde, elle fonctionnait depuis vingt ans sans contrôle de l’Etat chinois, bien qu’au départ elle ait bénéficié de son soutien financier. L’agence de la Sasac qui couvre la région où est implantée Haier a déclaré autoritairement il y a peu que c’était une entreprise d’Etat. Selon un spécialiste, il n’existe la plupart du temps pas de documents précisant de qui dépend telle ou telle compagnie. On est dans le flou le plus complet.
Il apparaît en outre que les entreprises d’état sont peu rentables. Il n’est que de se souvenir des usines de l’Allemagne de l’Est qui bénéficiaient d’un à priori favorable jusqu’au jour de la réunification. On s’aperçut alors que ,sorties de leur rôle social, leur rentabilité n’étaient pas loin de zéro. Il en est probablement de même en Chine. La situation politique étant différente, il est nécessaire que ces entreprises continuent à fonctionner. Pour cela il va falloir continuer à leur fournir matières premières et énergie à bas prix alors que du fait du boom économique tout augmente. La solution la plus simple est celle que vont mettre en œuvre les décideurs chinois, taxer de plus en plus les entreprises occidentales. Ces dernières sont en train de se rendre compte qu’elles sont prises dans un piège. Elles ont beau réduire leur coûts au maximum, le prix de l’énergie dont elles ont besoin ne cesse d’augmenter tout comme les taxes sur les matières premières et les importations, alors que ce n’est pas le cas pour les entreprises chinoises d’Etat.
L’autre casse-tête pour les économies occidentale est le cours du Yuan. Actuellement et depuis une dizaine d’années il est aligné sur le dollar américain, et il s’en porte très bien. Le dollar baisse, donc la devise chinoise baisse aussi et sa production devient de moins en moins chère et de plus en plus compétitive et de fil en aiguille le déficit commercial américain atteint des sommes incroyables, fragilisant ainsi la première puissance mondiale. Il apparaît aussi que le Trésor chinois a acheté un nombre impressionnant de bons du Trésor américains. Tout cela pour dire que des pressions colossales s’exercent sur le gouvernement chinois pour qu’il réévalue sa monnaie. Pour ce dernier, même s’il reconnaît depuis longtemps que le taux de change lié au dollar est malsain, il n’en est pas question. Toute pression est considérée comme une atteinte à son indépendance politique. Ce faisant, la finance internationale prévoyant une réévaluation a acheté un nombre conséquent de Yuans. Action favorisée par une information publiée sur le site web anglophone du Quotidien du Peuple annonçant un ajustement du change de la monnaie chinoise. Cette information qui fit tant de bruit, entraîna une augmentation du Yen, du dollar singapourien et de la roupie indienne pendant que le dollar US et l’Euro chutaient. Cela fut vite démenti par Pékin. C’était une erreur de traduction, dirent ils ! Si le pouvoir chinois avait envie de voir l’effet qu’une telle annonce pouvait avoir, il a été servi.
Cela ne veut pas dire que le gouvernement chinois n’ait pas d’appétit financier. Mais il se heurte à plusieurs problèmes dont le moindre n’est pas l’absence d’outil de gestion des flux capitalistes internes à la Chine. Dans son immense sagesse (sic), il vient d’autoriser l‘équivalent de notre Sécurité sociale à acheter des actions et des obligations sur le marché boursier international. Après les fonds de retraite américains, voici venir les ouvriers chinois comme investisseurs dans l’économie occidentale. Pour ce faire, ils vont engager une ou deux institutions financières internationales afin d’acquérir la respectabilité nécessaire. Le fait que la place de Hong Kong ne sera pas sollicitée à cette fin montre que le slogan né lors de l’intégration de l’île à la Chine « un pays deux systèmes » n’est qu’une illusion. Mais la vraie raison de cet appétit financier réside dans le fait que l’argent dont dispose la Sécurité sociale chinoise est constitué à 43% d’actions d’entreprises chinoises (montant évalué à 16 milliards d’€). Du fait de l’absence d’une Bourse, arbitre « objective » des valeurs, cet avoir est certainement surévalué. Ensuite, la Chine est confrontée au problème des retraites comme tous les autres pays industrialisés. Pas dans un avenir immédiat, mais les chiffres démographiques montrent que vers 2030, 21% de sa population sera composée de retraités. Ce qui ramené en chiffres sur la base actuelle est évalué à environ 300 millions d’individus. Même si les pensions payées ne seront pas magnifiques, il faudra les payer ou gare aux mouvements sociaux. On a vu ce que cela pouvait donner dans certains. Comme gouverner c’est prévoir, il vaut mieux taxer les économies des autres pays que de compter sur la sienne...
De tout cela on peut dire que les choses sont de plus en plus difficiles pour le capitalisme mondial. Pékin va continuer à jouer avec les nerfs des gouvernants occidentaux, l’OMC va être obligée de revoir sa copie. On voit mal comment le protectionnisme pourrait revenir d’actualité. Les Chinois ont été clairs en faisant des comparaisons entre le prix d’un Airbus et celui des Tshirts.
Mais la tentation militaire risque de revenir. En laissant l’Armée Populaire Chinoise, en perte de vitesse intérieure du fait du boom économique, tonner comme elle vient de le faire contre les velléités indépendantistes de Taiwan, Pékin rappelle qu’il a des dents qui ne sont pas seulement économiques. C’est ce que vient de déclarer un rapport du Pentagone. Selon les militaires américains (toujours en recherche d’un ennemi potentiel pour justifier leur place et leurs dépenses depuis la fin de l’URSS), il faut considérer sérieusement la possibilité de l’arrivée de la Chine comme un rival stratégique et non plus comme une partenaire telle que Clinton souhaitait la voir. Ce qui va compliquer sérieusement les relations avec la Corée du Nord et rendre plus difficile les tentatives d’amener ce pays à la table de négociation. D’autre part, ce rapport américain révèle sa non-connaissance du montant du budget militaire chinois ainsi que son ignorance de la stratégie militaire chinoise. Ce rapport mentionne l’existence dans le discours militaire chinois d’un terme provenant de l’histoire antique chinoise, de l’époque des royaumes combattants (453-221 av JC) « la massue de l’assassin » qui ferait référence à l’existence d’armes secrètes et de stratégies utilisée pour dérouter et rapidement défaire l’ennemi.
Comme on peut le voir tous les ingrédients sont présents pour une solution meurtrière au problème économique mondial. Nous sommes face à une économie mondialisée où la maîtrise des matières premières devient essentielle du fait de leur disparition. Nous sommes face à des forces militaires dont l’utilité est remise en question du fait même de cette mondialisation, le champ de la confrontation se passant sur le terrain financier. Le complexe militaro-industriel mondial n’a pas encore dit son dernier mot. Complice de l’Etat et de son idéologie nationaliste, ce complexe n’a pas encore été mondialisé, c’est-à-dire unifié. Il n’est pas dit qu’il se laisse faire. Il n’a de justification que dans l’utilisation de sa production et ce n’est pas la pauvre guerre d’Irak qui lui en donne l’occasion.
Pierre Sommer