Dans le débat politique français de ces dernières années, le terme de « service public » revient inlassablement. Ce terme recouvre une réalité bien différente selon l’endroit d’où on regarde. Pour les uns, les plus nombreux, il s’agit d’un élément indispensable de leur vie quotidienne, pour les autres, dirigeants patronaux ou politiques, c’est un obstacle à la rationalisation du pays. Chacun accuse l’autre de pensées cachées.
Chacun voit dans le service public ce qui l’arrange. Il faut pourtant tenter une définition de ce terme et voir ce qu’il recouvre. À côté de l’appréhension qu’en a M. Toutlemonde, il y a une réalité institutionnelle et une dimension idéologique particulières.
Arrêtons-nous d’abord sur la première partie.
Selon que l’on soit législateur, utilisateur ou employé par un organisme public, le contenu de cette notion change considérablement. Pour l’utilisateur que nous sommes tous, le service public recouvre des choses aussi diverses que l’accès au téléphone, à l’électricité, aux routes, à l’eau ou à l’éducation. Dans la vie de tous les jours, la Poste, la Préfecture ou l’État-civil ou la sécurité sociale sont considérés comme un service public. Pour le législateur, par contre, il n’en est pas de même. Selon que l’organisme relève du domaine régalien (police, armée, justice, état civil, impôts) ou du domaine social (éducation, équipement, radio), le terme de public est retenu ou pas. Pourtant un employé de la police ou des prisons ou même un soldat ne se considère plus autrement que comme participant à un service public. Il suffit pour s’en convaincre d’entrer dans un commissariat de police pour voir des affiches rappelant que l’on est dans un endroit de service public ou de regarder une émission de télévision montrant l’armée française, ou une autre, dans une mission de maintien de la paix.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, donc au cours de ces soixante dernières années, tous ces services publics ont non seulement structuré la France, mais ils l’ont aussi formatée. En utilisant ce terme, relevant de la technique informatique, je veux montrer à quel point le visage de la France d’aujourd’hui a été modifié en profondeur par ces entités.
Ce formatage provient des missions qui leur ont été attribuées par la force politique ainsi que des conséquences de leur organisation interne, mode de direction et statuts. Ces derniers peuvent sembler différents selon les structures, mais ils ont tous pour base celui de la Fonction Publique française d’État1.
La réalité institutionnelle
Avant de décrire ce statut, unique en Europe, nous allons remonter l’Histoire et examiner comment la Fonction Publique apparaît et sous quels auspices.
1945. La Deuxième Guerre mondiale vient de se terminer. La France est complètement désorganisée. Les fonctionnaires d’avant guerre ont pour la plupart et surtout à haut niveau soutenu le régime de Vichy. Il est urgent pour le nouveau gouvernement de se doter d’une administration fidèle.
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