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L’Islam, Est ou Ouest ?
ML 2006

Cette question revient sans cesse, soit ouvertement, soit en sous-entendus dans bien des raisonnements et bien des discours depuis le 11 septembre. Sans aucun doute beaucoup aimeraient que le choix soit aussi simple. Il y aurait un occident chrétien contre un islam relevant de la sphère asiatique. Mais comme pour le christianisme les choses ne sont pas aussi simples. Il y a un christianisme oriental d’origine byzantine, que l’on appelle orthodoxe. Il est bien plus différend du christianisme occidental tant d’un point de vue culturel que du point de vue théologique qu’on ne veut bien le dire ou le reconnaître. Ces deux formes du christianisme recouvrent deux zones géographico-politiques bien distinctes. En serait il de même avec l’Islam ?

On ne peut considérer cette religion comme un tout monolithique. Tout comme le christianisme elle est constituée de multiples formes de mode religieux. On est habitué à séparer les sunnites des chiites, mais il y a aussi le rite soufi, les Ismaélites, l’Islam africain aux limites floues avec l’animisme et certainement bien d’autres.

La religion musulmane a pourtant un point commun avec les autres religions monothéistes. Elle est née dans la même région que le judaïsme et le christianisme. Elle apparaît alors comme un renouveau de l’esprit religieux. A cette époque les juifs sont partis, dispersés, autour de la Méditerranée. Le christianisme occidental survit difficilement à la disparition de l’Empire romain, celui d’Orient s’est enfermé dans une théologie autoritaire et impériale. Sur les terres de l’Europe occidentale ce sont les temps sombres. Le haut Moyen Age est plongé dans la nuit intellectuelle. Dans l’énergie dégagée par cette nouvelle religion conquérante, un courant philosophique et scientifique apparaît. La richesse accumulée par les conquêtes donne la possibilité à nombre d’hommes cultivés de se pencher sur l’héritage grec, à cultiver la connaissance de la culture indienne, à chercher en Chine ce qu’il y a d’intéressant et de faire circuler cette masse d’information. Les lettrés musulmans sont la chance de la culture chrétienne. Ils vont fournir par ricochet tout le matériau nécessaire à la renaissance culturelle européenne du quinzième siècle sur laquelle nous vivons encore aujourd’hui. Il est donc exact de dire que l’Islam est une religion occidentale. Sans aucun doute, mais il ne s’agit que de la religion des cinq ou six premiers siècles. Au moment où, sur les bases théoriques, esthétiques, sauvegardées et transmises par les intellectuels musulmans, la Renaissance européenne naît et s’épanouit, un élément nouveau est entré dans le jeu politico-culturel et religieux. Constantinople, la Rome orientale est tombée.

Elle n’est pas tombée devant les Arabes. Face à l’émergence musulmane, l’Empire byzantin avait fermé l’accès oriental à l’Europe aux troupes des califes de Bagdad et d’ailleurs. Etat en fin de course il n’avait pu résister à des envahisseurs venus de loin qui, par vagues successives, avaient mis la main sur les derniers restes de l’Empire romain d’Orient. 1453 sonne l’alarme dans la chrétienté bien plus que la conquête de l’Espagne ne l’avait fait. Le peuple qui vient est un peuple guerrier. Il est le dernier des grands envahisseurs. Il vient de l’orient profond. Il vient d’Asie. Il n’a pas d’autre culture intellectuelle que celles des peuples qu’il a conquis et qu’il méprise, comme tout peuple guerrier.

Derrière les Turcs, les Mongols de Tamerlan arrivent. Ils vont occuper toute l’Asie Mineure des rives de l’Indus à Damas, laissant l’Anatolie aux mains des Turcs. Avant 1405, année de la mort de Tamerlan, Alep, Damas et Bagdad ont été conquises et détruites. Pour Bagdad le grand savant que fut Ibn Khaldun négocie la durée du pillage, qui sera alors limitée à trois jours. Les centres du savoir musulman ne sont plus.

Le peuple qui a déferlé en Asie Mineure est l’héritier des peuplades asiatiques (Hiong-Nou, Huns occidentaux, Tou-Kiu, Ouïgours) chassées de leur territoires par la déferlante mongole. Ils vont mettre quelques centaines d’années pour arriver en Iran. Ils sont animistes. Ils vont se trouver confrontés au monothéisme. Face aux conflits sanglants qui opposent Sunnites et Chiites, ils vont prendre le parti et la religion des premiers pour intervenir contre les seconds. Il n’y a pas là de conversions individuelles mais bien l’application du principe classique « religion du prince, religion du peuple ». On est loin de toute spiritualité. Non seulement ils vont s’affronter aux Chiites mais ils vont rapidement se trouver face à l’Empire Byzantin qui relève d’un autre monothéisme. Ils percevront alors que la religion est une arme comme une autre et le monothéisme est particulièrement efficace de ce point de vue. C’est donc, non pas des tribus mais une société conquérante, organisée militairement qui va prendre le contrôle de l’Asie Mineure, puis une fois Constantinople prise, de tout le Moyen Orient comme de l’Afrique du nord. Vers le nord et l’ouest elle va conquérir l’Europe. Ce que l’invasion arabe n’a pu faire, bloquée par Byzance, les Turcs vont le faire. Ils vont conquérir ce continent qui s’ouvre à eux. Cela va être la panique dans toute la chrétienté.

Début du XVI ° siècle, au sud Alger est prise, l’Egypte des Mamelouks est soumise, au nord et vers l’Est, c’est la prise de Belgrade puis la conquête de la Hongrie en 1526. À la mort de Suleyman le Magnifique en 1566, l’Empire ottoman s’étend des frontières autrichiennes au golfe Persique, des rivages de la mer Noire aux confins maghrébins, des montagnes d’Arménie aux côtes de l’océan Indien. La conquête de Chypre en 1570 sera le dernier succès militaire ottoman.

Le 6 octobre 1571 marque le début de la fin. La bataille navale de Lépante, où l’Occident chrétien a jeté toutes ses forces, sonne la fin de la peur pour l’Europe chrétienne. La dernière poussée vers l’ouest se solde par la défaite devant Vienne en 1683.

Ces rappels historiques peuvent apparaître sans intérêt. Mais ils permettent de réaliser que les Ottomans sont une société de conquête. Ils ont pris le pas sur l’influence musulmane arabe. Derrière eux la conquête mongole a effacé toute trace de l’influence que les missionnaires arabes avaient pu avoir vers les rives de l’Indus, seul le sous continent a échappé à la tourmente mongole. C’est avec le retour de la paix turque, qu’un islam soumis au diktat turc va se développer vers l’Orient.

Au même moment, du Maroc à l’Egypte, des rives de la Méditerranée aux confins anatoliens, des Balkans au Bosphore avec la fin de l’expansion territoriale l’Empire ottoman entre dans la nuit culturelle.

Sous la domination de la Sublime Porte, la dimension missionnaire de l’Islam est mise en sommeil. Trois groupes religieux échappent à la loi religieuse, la charia : les Grecs Orthodoxes, les Arméniens et les Juifs. C’est-à-dire quasiment toute la population des territoires conquis sur l’occident chrétien. C’est ce que l’on appelle « le système de millets ». La tolérance religieuse est de mise dans la mesure ou l’absence de revendication politique est respectée.

La fin de la présence musulmane arabe en Espagne date de 1492 avec la conquête de Grenade. C’est aussi la fin du Quattrocento qui ouvre l’épopée de la Renaissance européenne, et c’est simultanément l’apparition de l’imprimerie en 1468. Cette technique mettra plus de deux cent ans pour s’installer sur les rives du Bosphore (1729). La fin de l’expansion territoriale turque marque le début de la maladie qui va emporter l’Empire Ottoman en 1920. La disparition de cet empire va être la raison pour laquelle il existe peu d’études sur l’influence turque dans la culture musulmane. C’est une période que l’on préfère oublier.

Il suffit de considérer la situation turque actuelle. D’un côté leur désir de rejoindre l’Europe en laissant de côté la partie arabe du Moyen Orient, de l’autre leur refus persistant de reconnaître qu’en Arménie un massacre génocidaire a eu lieu sous le régime précédent, refus aussi de reconnaître le fait Kurde. Pour terminer on doit noter le poids déterminant de l’armée turque dans la vie du pays. Le passé pèse lourd. Comme en Russie où l’occupation mongole a créé les conditions d’existence d’un État autocratique en liquidant les villes autonomes de la Russie kiévaine, les Turcs en liquidant les villes, phares culturels, qui bordaient la Méditerranée ont empêché en même temps l’apparition d’une société civile porteuse de changement. Le Maroc, qui a échappé à l’occupation ottomane est l’exemple à contrario d’un pays en pleine évolution une fois sorti des mains d’un pouvoir personnel absolu.

Aujourd’hui sur le milliard de musulmans de la planète, 700 millions vivent en Asie. Quatre pays rassemblent à eux seuls près de 550 millions de musulmans : l’Indonésie, le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh. L’Islam de ces pays est lié profondément à l’Islam turc, à une religion ou l’interprétation des textes n’est pas libre car d’une façon ou d’une autre elle pose le problème du politique.

Quand on parle après le 11 septembre de choc des civilisations, on n’est pas forcément dans l’erreur. C’est dans l’Islam asiatique, Afghanistan, Pakistan Indonésie que le terrorisme Ben Laden a trouvé refuge.

C’est de l’Islam arabe, moyen-oriental que naîtra peut être un courant réformateur, révolutionnaire culturellement, qui renouera avec les philosophes et scientifiques des premiers siècles musulmans en se séparant de la sphère religieuse et en considérant celle si comme une affaire personnelle et pas plus que cela.