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Israël indigné
2012

ML hors-série n°43 (22 décembre 2011-22 février 2012)

lIsraël contre Gaza, Israël et le mur, Israël et les territoires occupés, Israël contre le Fatah, Israël et les indignés, cherchez l’intrus ! C’est ce que nous nous sommes tous dit quand un beau matin ou plutôt un soir les tentes ont fleuri au beau milieu de Tel-Aviv, sur le plus grand boulevard de la capitale du pays. Mais que se passe-t-il donc que nous n’avons pas su voir ? La surprise a été totale aussi bien pour le pouvoir israélien que pour les antisionistes, les défenseurs de la cause palestinienne, que certainement pour la population israélienne elle même. En cherchant à comprendre les origines du phénomène j’ai été ramené à quelque chose de fort trivial, à une histoire de petit déjeuner.

Le fromage blanc et la tente

Juin 2011. Un débat fait rage dans le pays. Le prix de ce fromage blanc, le « cottage cheese », spécifique au petit déjeuner israélien vient de subir une hausse de prix déraisonnable. Un appel au boycott a été lancé sur Facebook par un internaute et recueille 100 000 signatures. Cela fera la une du plus grand quotidien national. Dans un pays soumis aux injonctions permanentes de type militaire, quelque chose se passe.
Juillet 2011. Une jeune femme de 25 ans installe sa tente dans un square de Tel-Aviv, simultanément elle ouvre une page sur Facebook et elle invite tout ceux ou celles qui ont des problèmes de logement à la rejoindre.

Le lendemain, le 15 une cinquantaine de tentes sont installées sur le boulevard Rothschild. Le 16 le syndicat des étudiants se joint aux occupants.

Le 17 c’est le tour d’Hashomer Hatsair (La jeune garde), un mouvement de jeunesse sioniste de gauche de proclamer son soutien.
Le 23 une manifestation de soutien rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes traverse la ville. Le lendemain un millier de personnes marche sur le parlement à Jérusalem ce qui force le Premier ministre à déclarer qu’il fera tout son possible pour régler ce problème de logement. Le 28 a lieu la première « marche des poussettes » rassemblant des milliers de parents qui protestent contre le coût trop élevé de l’éducation des enfants.

Au cours du mois d’août le mouvement va s’étendre dans tout le pays. Des manifestants vont occuper des bâtiments vides et lancer un mouvement de squatt. Il y aura même une manifestation d’une centaine de militants d’extrême droite qui dénoncent la « dimension anarchiste de la protestation gauchiste contre la situation des logements ».

Au début du mois de septembre le projet d’organiser une « marche du million » prend naissance. Un demi-million de manifestants vont parcourir Israël le 3 septembre dont plus de trois cent mille à Tel-Aviv. Trois jours après des fonctionnaires de la ville sont envoyés pour nettoyer le boulevard des tentes. Ils sont accueillis par des cris les accusant d’être des « nazis en uniforme de fonctionnaire ». Ce qui va donner lieu à des affrontements violents. Le 27 du même mois Netanyahou s’engage à présenter un plan de règlement du problème.
Les tentes disparaîtront complètement le 3 octobre. Cela n’empêchera pas des dizaines de milliers de manifestants d’occuper les rues à la fin de ce même mois.

Début août le Premier ministre avait chargé un expert, le professeur Manuel Trajtenberg, de former une commission et de présenter des solutions. Ce qui était pour lui une façon d’enterrer momentanément le problème. Car il avait sous la main d’autres idées pour détourner la rogne publique. Les « indignés », eux, avaient de leur côté formé une autre commission.

Les raisons de la colère

Israël est le pays le plus riche du Moyen-Orient, exception faite des pays pétroliers. Dans ces derniers les calculs ne sont faits, en général, que sur la base des résidents « officiels ». Pourquoi les habitants de ce pays sont-ils si mécontents ? Pour au moins trois raisons, dont l’une n’est pas apparue au cours de ces manifestations. Selon la sécurité sociale israélienne 123 500 personnes sont passées sous le seuil de la pauvreté en 2009. Ce qui chiffre à 1 774 800 le nombre d’habitants en dessous du seuil de pauvreté sur un total de 7 624 600. Cela concerne presque un quart de la population. Pourtant seulement 6 à 7 % de la population est au chômage, ce qui en clair signifie que les salariés pauvres forment la majorité de cette couche sociale qui n’a plus de quoi vivre décemment selon les autorités officielles. D’autre part, et cela doit sembler injuste à beaucoup, cette situation frappe en majorité les Israéliens juifs.

L’autre fléau qui frappe ce pays est la corruption. Dans ce pays ultra démocratique, où chaque petit parti peut rêver un jour de devenir le pivot d’une coalition, puis qu’il manque toujours un ou deux siège pour être majoritaire, l’argent règne en maître. Selon le journal de gauche Haaretz Israël est au 30e rang des pays les plus corrompus du monde sur les 178 pays pris en compte. Contrairement à bien d’autres pays comme le Qatar, Haïti ou la Gambie, la situation en Israël ne s’améliore pas. Un exemple parmi d’autres : Ehud Olmert, ancien Premier ministre de 2006 à 2009, a été inculpé de fraude, abus de confiance, usage de faux et évasion fiscale. Il est accusé d’avoir reçu un pot de vin de 3,5 millions de schekels pour faciliter un projet hôtelier dénommé Holyland... Je ne résiste pas à faire bonne mesure en rappelant qu’un ancien chef d’Etat, Moshe Katzav, inculpé de viol et harcèlement sexuel a été condamné à 7 ans de prison. Pendant ce temps le nombre de millionnaires a augmenté de 20,6% !

Les solutions à cette crise sociale

Donc deux commissions se sont penchées sur ce problème. Il est difficile d’en voir les différences. Le diagnostic est partagé, coût exorbitant des logements et niveau de vie en chute sont les raisons de la révolte. Le président de la commission officielle, l’économiste Manuel Trajtenberg, va jusqu’à dire « L’heure est grave et exige de sérieux changements sociaux en Israël » et il appelle au partage des fruits de la croissance... Le plus jeune membre de cette commission, Shahar Cohen, lui, reproche aux leaders du mouvement de demander toujours plus sans se rendre compte qu’au fond c’est dans les poches de la population que l’État et son chef iront chercher de quoi les satisfaire. Selon lui trop peu de gens paient l’impôt pour qu’il puisse y avoir une marge de manœuvre.

La commission alternative est dirigée par le gouverneur adjoint de la Banque d’Israël et par un prof de l’université Ben Gourion, Yossif Yonah. Ce dernier a déclaré : « Nous pensons que nos dirigeants ont oublié que l’économie doit servir la nation. Une république bananière est en train se de se développer sous nos yeux ahuris. » Certains parmi les dirigeants politiques actuels ont trouvé la solution pour la question des logements. Il suffit d’en construire plus dans les colonies, en territoire palestinien. Cette proposition est logique, particulièrement dans la mesure où toutes ces commissions et autres experts se gardent bien d’évoquer le problème économique israélien numéro un, la guerre.

Les Indignés et la guerre

La condition incontournable pour rassembler autant de monde était de ne pas faire de la guerre contre les Arabes un point de discussion et donc achoppement. Il était évident qu’à partir du moment où le débat s’engage sur le domaine budgétaire la question de la « défense » se posait.

Rappelons quelques chiffres. De 1950 à 1966 Israël a dépensé 9% de son PIB pour l’armée. Cela est passé à 24 % dans les années quatre vingt puis est revenu à 9 % après la signature des accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie. En 2008 le budget de la défense se montait à 16 milliards de dollars. Aujourd’hui selon les chiffres du gouvernement américain, le budget militaire israélien s’élève à 16% du budget total et grossira de près de trois milliards de dollars par an d’ici 2018. Plus de quarante pour cent de cette somme va dans les salaires et pensions du personnel civil comme militaire du ministère de la Défense. Dans ce contexte les légères coupes que déclare vouloir faire Netanyahou apparaissent d’une hardiesse incroyable...

La réaction religieuse

Il est difficile de voir la relation qu’il peut y avoir entre la libération de la parole qui s’est fait jour pendant ce mouvement et l’écho de plus en plus grand fait aux revendications extrémistes des religieux ultra-orthodoxes. Il faut néanmoins noter le renforcement de la pression dans bien des domaines de la vie qui semblaient jusqu’alors en dehors de ce genre de problème. Des femmes ont entamé le combat pour pouvoir s’asseoir où elles ont envie à l’intérieur des bus, ce faisant elles s’opposent à la campagne menée par les Juifs ultra orthodoxes de MéaSahrim. Ces derniers, les hommes, veulent obliger les femmes à monter derrière afin de ne pas être, eux, pollués. L’armée, elle, doit faire face à ces jeunes élèves officiers qui sortent des rangs, quand au cours d’une cérémonie officielle des femmes soldates commencent à chanter. Impures, disent-ils ! La pression pour un « vrai » judaïsme se fait de plus en plus forte.

La fin du mouvement ?

Il ne reste plus que quelques tentes sur le boulevard Rothschild. La dernière manifestation de colère a eu lieu le 30 octobre et a rassemblé un peu plus de 20 000 personnes à Tel-Aviv. Le danger est passé pour le moment. Netanyahou possède l’arme absolue contre tout mouvement social : l’unité nationale contre le danger extérieur.
Il y a eu dans un premier temps les manœuvres palestiniennes à New York pour s’y faire octroyer une place puis la menace nucléaire iranienne. Dans un très intéressant article paru dans le mensuel CQFD du mois d’octobre Michel Warchawski parlait de la possibilité d’une provocation sur le front libanais. Le pouvoir israélien a trouvé mieux en organisant le battage médiatique autour d’un possible bombardement de centrale nucléaire iranienne par l’aviation israélienne. On voit bien dans cette affaire les avantages sur le front intérieur qu’en tirent les pouvoirs des deux côtés. Les staliniens d’antan auraient parlé de « complicité objective ». Ce qui est bien le cas. Une offensive gouvernementale contre les pacifistes israéliens vient d’être lancée. Ils sont accusés d’être des agents de l’étranger. Le pouvoir cherche à les faire taire à travers une nouvelle loi contre le financement des associations. On voit bien que seule la rencontre entre le mouvement social des indignés et les groupes qui se battent contre l’occupation de la Palestine peut déboucher sur un avenir positif.