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La Shoah, un massacre de masse ?

Une réunion, à l’appel d’un groupe de juifs antisionistes et des Indigènes de la République, a été annoncée par voie de mails, à Paris autour, de l’idée de la mémoire des massacres de masse. En soi rien de bien exceptionnel même si l’on ne peut que déplorer le peu de place que tiennent ces événements dans la mémoire collective. L’histoire humaine est « riche » de ces faits tragiques depuis bien des siècles si ce n’est des millénaires. Cependant dans le cas présent il s’agit de tout autre chose. Il y a là une démarche politique cachée, il s’agit de requalifier ce que l’on appelle aujourd’hui la Shoah.

Les massacres de masse.

Le nombre de villes passées au fil de l’épée dans l’antiquité ne se compte pas. La Bible elle-même en énumère quelques unes. Gengis Khan puis Tamerlan, du 13ème au 14ème siècle enseignèrent la valeur du massacre comme moyen efficace de conquête. Aujourd’hui, certains démographes estiment la population précolombienne des Amériques à environ 150 millions de personnes. La brutalité meurtrière des conquérants européens jointe aux germes de maladies qu’ils transportaient avec eux sont à l’origine d’un ethnocide sans commune mesure jusqu’à nos jours. La campagne du Palatinat menée par Louis XIV est encore gravée dans les mémoires locales. Le Roi des Belges était propriétaire d’un territoire dont la superficie était sans commune mesure avec son royaume. Il s’agit du Congo belge, pays que l’on appelle aujourd’hui Zaïre. Il n’a toujours pas été possible d’évaluer exactement le nombre de millions de morts que les colonisateurs ont fait passer de vie à trépas afin de mettre la main sur les richesses locales avec la bénédiction comme dans bien des endroits de l’Eglise catholique. Pensons aussi un moment à ces Australiens qui se rangèrent sur une ligne et traversèrent la Tasmanie en tuant systématiquement tous les aborigènes qu’ils rencontrèrent. On pourrait de même évoquer les massacres de Sétif, en Algérie en 1945, comme ceux de Madagascar, un peu plus tard, aussi terribles l’un que l’autre, avec le même but empêcher que des esclaves, de fait puissent réclamer leur indépendance. On pourrait aussi parler des exécutions à la chaîne exécutées sur ordre de Staline, les exécuteurs soumis à des quotas, demandant des autorisations de dépassement. Il ne faudrait pas oublier les famines causées par l’impéritie criminelle des gouvernants, comme en Russie soviétique ou en Chine. Plus près de nous il y eut les génocides du Cambodge et du Rwanda, ceux de l’ex-Yougoslavie, et probablement j’en oublie. Parmi tous ceux là le seul qui continue à poser problème est celui qui porte le nom de Shoah. Pour tous les autres, soit ils ont été oubliés, enfouis dans la mémoire, soit pour les plus récents ils ont été confiés à un tribunal international afin que tout un chacun, vous comme moi, puisse dormir en paix.

Une histoire de l’humanité à travers les massacres reste à écrire. Cela changerait de celle des grands hommes, ou plutôt cela les remettrait en perspective. La réunion, citée plus haut, avance que « La hiérarchisation des identités - que ce soit sur des bases raciale, religieuse ou ethnique - est le résultat d’une construction intéressée ». En fait la question qui est posée est celle de savoir si la liquidation des juifs est un massacre de masse comme un autre ou si elle est spécifique.

Spécificité de la Shoah.

Dans un premier temps il faut avancer, et cela est incontestable, que c’est la seule extermination qui ait un antécédent idéologique plus que bimillénaire. Ce massacre de masse n’aurait pas eu lieu sans la préexistence de l’antisémitisme. Ce dernier est pratiquement contemporain de la constitution en entité religieuse organisée du peuple juif, au IIIème siècle avant notre ère. Cet antisémitisme antique a été prolongé par le christianisme au cours des siècles suivants. Régulièrement les juifs ont été accusés de tous les maux. Les pogroms ont marqué leur histoire de façon continuelle. Les croisades ont été l’occasion de purifier certaines villes de cette « engeance ». Dans les pays slaves, les pogroms ont rythmé l’histoire officielle. Nulle part une telle haine n’a poursuivi pendant aussi longtemps une population donnée, et dans autant de pays différents, de l’Espagne à la Russie. Le juif est partout et encore aujourd’hui, indépendamment de l’affaire israélo-palestinienne, sujet au moins de méfiance si ce n’est de défiance.

Dans un deuxième temps il faut rappeler que la Shoah a aussi concerné les homosexuels, les tsiganes et les arriérés mentaux. Autant les défenseurs de son historicité que ses contempteurs ont tendance à oublier cela, parce qu’au fond cela ne cadre pas avec les arrières pensées des uns et des autres. La présence dans ce massacre des ces trois catégories spécifiques est l’illustration de l’exécution de l’idéologie racialiste nazie. Il faudrait là, se replonger dans la conception du monde du national-socialisme.

En cela la Shoah est unique, elle est à la fois la toile de fond et le résultat de la conception d’une société basée sur la supériorité d’une race. Nulle part, dans aucun massacre une telle folie n’a été à l’œuvre. Si en Afrique du sud, au temps de l’apartheid, comme en Amérique du nord au temps de l’esclavage les noirs étaient considérés comme inférieurs, ceux qui les opprimaient ne se considéraient pas comme une race de seigneurs, l’instauration d’un Reich de mille ans leur était étrangère, sauf pour une minorité des tenants de l’apartheid dont on sait les liens avec les nazis. De même la « dispute » de la Renaissance qui tendait à savoir si les peuples conquis, les indiens d’Amériques, avaient ou non une âme avait pour finalité d’une part la possibilité de leur salut à la sauce chrétienne ou celle de leur exploitation sans scrupule par un capitalisme mondialisé naissant.

L’autre spécificité de la Shoah est son exécution. La mise en pratique de cette idéologie racialiste doit être rappelée. Elle débute avec les lois de Nuremberg édictées dès 1935. Cette situation « légale » va rencontrer une situation concrète dès le début de la guerre en Pologne puis en Russie. Les troupes allemandes dans leur avancée foudroyante vont se retrouver avec des pans entiers de villes où elles auront rassemblés dans des conditions effroyables des juifs raflés sur place ou dans les campagnes. La logique va alors faire son œuvre. L’immobilisation de forces armées, nécessaires par ailleurs au front de l’Est, jointe à cette idéologie racialiste vont amener les décideurs à élaborer et mettre en place la solution finale permettant la création d’une race supérieure. A partir de ce moment là, c’est-à-dire le 20 janvier 1942, lors de la conférence de Wannsee, il suffisait d’utiliser les moyens industriels déjà existant et de rationaliser à l’extrême le massacre qui avait déjà commencé sous des formes artisanales..

Enfin l’espèce de fétichisme qui entoure cette histoire dramatique tient aussi au fait que les juifs religieux se sont trouvés incapables de donner une explication, cohérente avec leur croyance, à cette volonté de les faire disparaître. Aux questions qu’ils se posent comme « Y a-t-il eu colère de Dieu ? » les réponses apportées sont invraisemblables. S’il y a eu « colère de Dieu », cela revient à exonérer les auteurs de ce crime de toute responsabilité objective, ces derniers n’ayant été eux-mêmes que le bras armé d’un Dieu vengeur. Cela fait donc de l’Holocauste un événement inexplicable. Toute réponse sensée doit faire l’impasse sur la question religieuse. Comme cette dernière raison est leur justification ultime, on reste dans le mystère.


Israël, la Palestine et la Shoah.

C’est ici que se trouve le nœud du problème, dans le régime de terreur, d’autoritarisme sans recours que l’Etat d’Israël impose aux Palestiniens. Bien que la revendication de la création d’un Etat pour les juifs soit apparue bien avant la « solution finale », moment où dans la mémoire juive n’existait que celle des pogroms qui avaient ponctué pendant des siècles son histoire, il est indéniable que la réalisation de cette revendication est due à la mauvaise conscience des puissances occidentales après la guerre et la découverte des camps de concentration et des chambre à gaz qu’ils contenaient. C’est le premier point. Ensuite arrive le fait que le récit de la Shoah semble être devenu une vérité officielle, qui ne peut être remise en cause et qui peut dans certains pays être à l‘origine de lois mémorielles comme en France avec la loi Gayssot en 1990. Si cette vérité a besoin d’une loi et d’un discours d’Etat pour être énoncée, c’est peut être qu’elle n’est pas aussi vraie que cela. C’est dans cette étrange alternative que se sont engouffrés les révisionnistes de tous poils dont le plus célèbre est Faurrisson rejoints par d’ultra-minoritaires ultra-gauchistes embarqués dans un discours d’une dialectique folle.

Aujourd’hui, Israël et ses partisans, face aux reproches encourus causés par leur pratique quasi terroriste du maintien de l’ordre en Palestine et à Gaza n’ont plus pour justifier l’injustifiable que le recours systématique à l’excuse de la Shoah. Le président iranien en proférant ses menaces à l’encontre d’Israël alimente cette paranoïa victimaire. La montée en puissance des forces religieuses extrémistes juives produit une idéologie raciste, le Palestinien perdant sa qualité d’homme ou de femme pour devenir une simple menace permanente.

Massacre de masse et Shoah

Dans ce contexte là, ne pouvant nier la réalité de la solution finale, de nouveaux révisionnistes, mus par leur solidarité avec le peuple palestinien tentent de dé-fétichiser la Shoah, d’enlever à Israël sa justification victimaire en la considérant comme un massacre comme un autre. Accepter cette démarche c’est refuser que ce qu’ont fait les nazis et leurs alliés est plus qu’un simple massacre. Accepter cette démarche c’est refuser de s’interroger sur ce qui s’est passé pendant ces années terribles. Accepter cette démarche c’est aussi trouver normal que l’humanité passe de massacres en massacres sans jamais s’interroger sur sa propre responsabilité, puisque ce sont toujours les autres qui font cela.

Pierre Sommermeyer