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Un film, les médias et nous

« Les chiens de garde défendent mordicus les intérêts de la classe dirigeante qui les nourrit et les conforte. »
Paul Nizan

Parfois le cinéma militant sacrifie la qualité esthétique à l’importance du message. Parfois le cinéma militant est comme un tract, touffu, plein d’informations, plus ou moins bien digérées. Ce n’est pas le cas des Nouveaux chiens de garde, version filmée et mise à jour du livre de Serge Halimi portant le même titre. Il faut remercier les réalisateurs, Yannick Kergoat et Gilles Balbastre, d’avoir pris ce parti de la qualité de l’image. Le plaisir de le regarder n’a d’égal que les problèmes qu’il pose.

Le monde de la direction de l’information

Il ne s’agit en aucune façon d’une analyse des activités d’une quelconque officine gouvernementale ou ministérielle. Ce film met en image le monde de la connivence. Cela ressemble à un grand jeu de société du type « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Les simples journalistes sont absents de l’écran. Seuls leurs chefs et les vedettes du métier apparaissent. De ma mémoire une série de noms émerge comme Joffrin du Nouvel Obs et avant de Libération, son actuel patron Demorand comme l’ineffable Aphatie, le duo de choc Julliard et Luc Ferry dans leurs incessants « je ne suis pas en désaccord » l’un avec l’autre. Il y a aussi les donneurs de leçon démasqués comme Alain Minc et Michel Godet. À propos de ce dernier, quel plaisir d’apprendre que cet enseignant qui nous abreuve à longueur d’écran d’encouragements à travailler plus et à gagner moins arrondit grassement ses revenus en travaillant pour le privé en plus de ses fonctions universitaires. Il s’agit donc d’un film où on ne s’ennuie pas. Rythmé qu’il est par des montages de dessins animés qui nous permettent de reprendre notre souffle.

Il ne nous appartient pas, étant hors du monde du journalisme professionnel, de dire si ce film frappe juste. C’est pour cela que nous vous offrons une petite revue de presse à ce sujet : L’Express parle « d’amalgames et caricatures ». Il trouve que « considérer que tous les patrons de presse sont à mettre dans le même panier, au nom du poste qu’ils occupent et du titre qu’ils dirigent, c’est un peu court ». Le Nouvel Observateur parle lui de « monothéisme de la pensée médiatique ». L’organe de la gauche « comme il faut » laisse la parole, en ligne, à un texte tiré d’un blog hébergé par ses soins. Façon comme une autre de ne pas se mouiller, l’article reprenant les thèses du film. Quant à la version papier, elle n’en parle pas. Télérama, qui nous dit ce qu’il faut voir chaque semaine quand on est de gauche, présente en ligne six extraits commentés par les réalisateurs en prévenant que, « dans le petit monde médiatico-économico-politico-parisien, chacun en prend pour son grade ». C’est bien. Dans la version papier le film est placé « dans le sillage de Pierre Bourdieu ». Pour la journaliste qui l’écrit « il tape souvent juste » même s’il y a « des balles perdues ». Puis, au début du dernier paragraphe pour montrer qu’au fond il s’agit d’une forme de canular, les réalisateurs deviennent des « lascars ». Elle n’en dira pas plus laissant aux spectateurs la tâche de dire à Télérama ce qu’il faut en penser. Mais reconnaissons qu’elle aura elle au moins mentionné Acrimed (Action critique des médias) un site web consacré à tout cela.

Le point fort de ce film, je dirais même la raison pour laquelle il ne faut pas le rater, et dont personne ne parle, oubli significatif est, un ballet. C’est celui des personnalités connues ou plus discrètes, des affaires comme des médias, qui chaque mois partagent un petit repas. La scène, publique, de ce ballet est la rue, le repas a un nom « le dîner du Siècle ». On voit les acteurs franchir les uns après les autres une porte ma foi fort discrète. Il semblerait que des malpolis aient jugé bon d’organiser une non-manifestation à chaque fois que ces gens affamés vont se nourrir. Heureusement le préfet de police qui selon Wikipedia en est membre (du siècle !) y a mis bon ordre.

Tous pourris ?

Les tenants des thèses complotistes avanceront que les patrons de journaux viennent aux ordres. Je pense quant à moi que cela ne se passe pas comme cela. C’est trop grossier. Les choses sont plus subtiles. Dans ce genre de réunion, c’est-à-dire au Siècle ou ailleurs, il y a une espèce d’homogénéisation de l’information, une distribution des rôles. Tout cela amène à une sorte d’écrêtement. Alors tous les journalistes se valent-ils ? Le film ne répond pas à cette question. Les journalistes sont-ils des travailleurs comme les autres ? Le film ne pose même pas la question. Si le film met en relief les liens entre les groupes de presse et les groupes financiers, il ne dit pas comment faire autrement vu le faible niveau de la vente des journaux français. La question d’une autre façon de faire du journalisme n’est même pas esquissée. Ce qui ressort du débat mené après la projection avec un des réalisateurs, c’est que c’est un problème que seuls les journalistes professionnels peuvent régler, entre eux. C’est un peu court.

Pierre Sommermeyer