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Labyrinthe de famille

L’origine de la violence

Fabrice Humbert

Ed. Le passage 2009, 315Pp. 18€

Il s’agit d’un roman. Du moins c’est ce qu’il y a écrit sous le titre. Ce n’est pas une raison suffisante pour prendre cela au pied de la lettre. Tout le livre est sous le règne du faux semblant. Est-ce une étude historique, un morceau de biographie, un roman familial ? Je m’y suis perdu à plusieurs reprises et je gage que n’importe quel lecteur s’y perdra de même. Une dizaine de fois j’ai voulu le refermer définitivement et à chaque fois il s’est rouvert à la bonne page.

Il y a le secret de famille qui tout au long du livre en justifie l’écriture. Un professeur de lycée emmène sa classe visiter le camp de concentration de Buchenwald. Dans le musée de ce camp il tombe en arrêt devant une photo représentant un homme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son père. On sait rapidement qu’il s’agit en fait du grand-père génétique du narrateur qui se nomme David Wagner. Ce secret qui empoisonne cette famille inscrite dans son terroir normand en cache un autre bien pire que l’auteur va expédier en une demie-page à la fin du livre. La plus grande partie du récit concerne à la fois une réflexion sur le système nazi et une description détaillée de l’horreur concentrationnaire. Il ne semble plus alors s’agir d’un roman, d’une création de l’esprit mais d’un essai. Pris au jeu j’ai voulu confirmer l’exactitude historique des détails donné dans ce récit, il n’y avait pas de problème de ce côté-là. Qu’un homme jeune comme l’est l’auteur, si l’on en croit sa photo sur son site web, se pose la question du pourquoi et du comment du nazisme, rien que de plus normal, même rien que de plus recommandable. S’il est une question qui reste ouverte c’est bien celle là. D’autres, tel Zygmund Bauman, s’y sont attaqués et ont donné des réponses parcellaires, insatisfaisantes, inquiétantes comme celle là : « ne vous demandez pas où était Dieu mais où était l’homme ? ».

L’autre question que je ne m’arrête pas de me poser est celle de comprendre pourquoi des romanciers ressentent le besoin de décrire encore et encore les horreurs commises alors, comme si les descriptions collectées par les historiens ne suffisaient pas. Pourquoi, comment, de tels récits comme Les Bienveillantes de Littel par exemple en viennent à devenir des succès de librairie ? On me rétorquera qu’il peut s’agir d’un autre chemin pour accéder à la prise de connaissance. Soit, mais la transmission de ce type d’information sur l’horreur via le spectacle médiatique ne modifie-t-elle pas la nature des faits ? Nous savons aujourd’hui, soixante ans après’ que la mise à jour de ce type d’information n’a en rien mis un point final à la pratique du génocide. Les succès de librairie concernant les horreurs du Rwanda ne peut que me renforcer dans l’idée que la description répétée de l’horreur révèle une certaine complaisance d’un côté et un certain appétit pour l’horreur par procuration.

De la même façon je me demande si ces voyages organisés pour les lycéens, quasi obligatoires, vers les camps de Dachau, Buchenwald ou Auschwitz ont une autre nécessité que de déculpabiliser les adultes vis-à-vis de l’horreur nazie ?

Je ne partage pas, ni de près ni de loin la question que pose au narrateur sa compagne allemande : « Pourquoi écrire sur un thème aussi malsain ? ». Bien au contraire je ne peux que répéter encore et encore ce que disait Brecht : « le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde » et l’histoire contemporaine est là pour en porter témoignage. Quand elle avance : « En fait c’est toi qui est malsain » elle s’adresse à mon avis et avec raison, en fait à l’auteur. F. Humbert décrit l’univers concentrationnaire, examine les conditions dans lesquels l’étrange personnage qu’est Hitler arrive au pouvoir sans jamais évoquer dans quelles conditions une résistance aurait été possible. Humbert correspond bien à cette attitude générale qui consiste à célébrer le devoir de mémoire sans jamais prôner, au moins dans ce livre le devoir de désobéissance.

Au fond ce livre est éminemment politique et à ce titre il faut le lire. L’auteur dénonce le nazisme, tente de comprendre ce qui s’est passé et essaie de se dégager d’une culpabilité latente en racontant comment le père du narrateur pousse au suicide le médecin criminel de Buchenwald, coupable d’avoir exécuté le grand père dont la photo a été découverte par le héros du livre. Mais, il y a un mais d’importance, la seule question qui se pose est de savoir qui a dénoncé David Wagner, puisque ce dernier a été déporté avant les grandes rafles de 1942 ? Humbert liquide cette question en une demie page, et qualifie de « crapulerie » ce qui est évidement un crime. Peut être parce que le dénonciateur est un Français de souche, l’arrière grand père du narrateur qui ne veut pas qu’un juif vienne salir sa lignée.

Tout ce livre pour cela ? Juste pour dire que ce qui est un crime outre Rhin, n’est au fond qu’une action malhonnête de ce côté ci ? L’anti-sémitisme a encore de beaux jours devant lui.

Pierre Sommermeyer