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"Militer", ça te parle ?

C’est ainsi que je fus mis en demeure de m’exprimer sur ce sujet. Ce qui n’est pas si facile que cela dans la mesure où j’ai sur le sujet une position théorique très tranchée et une pratique bien moins claire. Au fond tout ce qui suit ne relève-t-il pas de la confession ? Je vais livrer des morceaux épars, au lecteur, s’il a envie, de les réassembler.

J’ai été élevé dans une famille d’émigrés politiques allemands, antifascistes et antistaliniens. Quand il s’agissait de définir telle ou telle de leurs connaissances il y avait un qualificatif définitif qui avait le poids d’un marteau, celui de « Berufsrevolutionär » révolutionnaire professionnel. Il s’agissait de personnes employées à plein temps par l’organisation, le PC le plus souvent mais aussi des plus petits partis. Je n’ai jamais voulu ressembler à cela. Le lien entre ce qualificatif et le terme de militant professionnel fut alors fait, le qualificatif de professionnel passant au deuxième plan, mais pas oublié. Donc je ne suis pas un militant !

Pourtant j’écris dans ce journal depuis une vingtaine d’années, j’ai été membre, actif, d’un certain nombre de groupes libertaires depuis bien plus longtemps. Mais je ne suis pas un militant. Ce terme reste entaché pour moi d’un certain nombre de critiques. Quand dans les années 68 j’ai découvert cet opuscule situationniste De la misère en milieu étudiant puis quelques années après Le Militantisme, stade suprême de l’aliénation, j’y retrouvais mes propres réticences. Au fond je ne crois pas en l’organisation ! Je suis individualiste ! Voilà le gros mot est lâché. Comme je crois et je suis toujours persuadé qu’il faille s’organiser, mettre en commun, pour faire quelque chose, l’étiquette d’anarcho-communiste pourrait m’aller comme un gant, même si cela semble contradictoire. Je fus engagé syndicalement mais ne suis en aucun cas anarcho-syndicaliste.

La question de l’organisation à laquelle les militants adhèrent reste pour moi une interrogation. L’histoire du mouvement ouvrier illustre à quel point se rendre maitre de la structure à laquelle on adhère se fait la plupart du temps au détriment de la lutte dans laquelle on est engagé comme à celui des autres adhérents et devient un combat en tant que tel. La taille de la F.A. ainsi que la rotation des tâches, aussi difficile soit elle, comme son orientation théorique, synthésiste, me permet de m’y sentir à l’aise. Je reconnais à notre Fédération un mérite, celui de maintenir à travers ses organes, dans un monde déchiré, une voix à contrecourant. Autour d’elle, parfois à une encablure, le récit libertaire perdure sous une forme ou une autre. C’est en son sein que j’ai pu continuer à réfléchir sur les relations entre Juifs et anarchistes et à revenir régulièrement sur la question de l’antisémitisme. Très minoritaire sur la question de la violence, j’ai pu chaque fois que j’en ai eu l’occasion mettre en avant des actes d’action directe non-violente dont je suis un partisan déterminé. Je ne suis pas sûr que dans une organisation plus rigide que ne l’est la F.A. cela aurait été possible.

Ce qui me fait répéter que, pour moi, le militantisme est différent de l’engagement. Ce dernier fut pour moi radical et fondateur. Il occupa cinq années de ma vie. Inutile de revenir là-dessus, j’ai déjà raconté cela par ailleurs. Ce fut une suite de clandestinités depuis ma plus tendre enfance, d’insoumissions, d’exils et de prison, le tout suivi d’un refus de parvenir pour les années qui suivirent jusqu’à la retraite. Tout cela est bien joli, mais pourquoi, quelles en sont les raisons et au fond cela sert -il à quelque chose ?

Cette question de l’utilité de mon engagement je me la suis souvent posée. Mes réponses, car il y en a plusieurs, peuvent sembler un peu étranges. J’ai d’abord une position qui confirme mon individualisme. Je ne fais quelque chose que parce que cela m’importe en tant qu’individu. Les héritages, tant politiques que spirituels qui sont les miens m’obligent à prolonger ce que j’ai reçu les premières années de ma vie. C’est un formidable moteur. Je n’ai jamais écrit autant que depuis que le temps m’ait été donné avec le moment venu de la retraite. J’écris parce que j’aime cela, j’écris aussi parce que des compagnons m’ouvrent la possibilité d’être publié.

L’utilité de ce que je fais m’importe peu. Au fond cela ne dépend pas de moi. Par contre j’ai appris au cours du temps que ce que je faisais, circulait sans que j’y sois pour quelque chose si ce n’est les avoir édités. Si je ne milite pas, si je ne me suis pas engagé pour participer à une quelconque prise du pouvoir, je suis plus concerné par l’efficacité de mes actes concrets. A la fin de mes parcours professionnels, j’ai emmagasiné une certaine expérience que j’ai pu mettre au service d’un certain nombre de compagnons à travers l’installation d’un certain nombre de site web militants, ce dont je suis bien plus fier que de tout le reste.

En arrière-plan, il reste la question de classe. Elle m’a souvent posé des problèmes. Je me suis souvent entendu dire « ne joue pas ton ouvrier de service ! ». En effet il m’a fallu attendre les cinq dernières années de ma vie professionnelle pour que ma production intellectuelle prenne le pas sur celle de mes mains. Ouvrier depuis le début de mon adolescence, je reste profondément marqué par cela. Je ressens toujours un mal à l’aise devant des compagnons qui ont fait des études que je n’ai pu faire et dont certains ont fait des carrières universitaires. Face à ces derniers je ne peux me défaire d’une attitude distancée, conscient que lors de mes activités professionnelles leurs collègues exerçaient sur moi une autorité pour le moins désagréable.

Relisant tout ce qui précède je m’aperçois que le mot de révolution n’apparaît pas une seule fois. Si tout ce que je fais, engagement ou militance ne vise pas à renverser la table, pourquoi suis-je là ? Je crois au fond que je ne « crois » plus à La Révolution. Je pense qu’il existe des moments où il semble que cela puisse basculer vers autre chose. Ces moments où des fenêtres s’ouvrent vers un autre avenir. Ernst Bloch rappelle dans Le Principe espérance que pour 1 000 guerres qui éclatent il y a 10 révolutions, parce que se lever est si difficile. Je rajouterais quant à moi, oser désobéir aussi.

Tout ce qui précède peut sembler contradictoire, cahoteux, inconséquent, c’est juste le reflet d’une vie qui le fut.

P.S.