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Sur les traces de l’anarchisme au Québec

Sur les traces de l’anarchisme au Québec (1860 –1960)

Mathieu Houle-Courcelles

Editions LUX Montréal, 2008, 275 pages.

Le poing transfirlouché en sceptre assassine (enfin !) les procules de la bave jésuite [1].

Il suffit de participer au Salon du livre libertaire organisé à Montréal, au Québec, et d’en constater l’importante fréquentation pour se poser la question de l’origine des anars dans la Belle Province. Interrogé lors de sa présence au stand de la Nefac, la Northeastern Federation of Anarchist-Communists, organisatrice du Salon, Mathieu Houle-Courcelles nous a dit qu’il avait entrepris ce travail de recherche d’abord pour répondre à son propre questionnement.

Le résultat est fascinant et inattendu. Ceux qui vont apporter l’anarchisme à Montréal sont des ouvrières et des ouvriers du textile. Dans ce pays d’immigration, les révoltes ouvrières ont été fréquentes au XIXe siècle. En 1843, 1 000 des 2 500 travailleurs d’origine irlandaise en grève à Beauharnais, armés de fusils et de haches, s’en prennent à leurs patrons et saccagent des magasins.

Trente années plus tard, des déportés (entre 1 000 et 3 000) de la Commune de Paris arrivent au Québec. Au départ, il semble qu’il était prévu que le plan élaboré par le gouvernement français et son homologue canadien en envoyât 35 000. Le conseil général de l’Internationale, consulté, refuse de donner son accord, ne voulant pas se rendre complice d’une telle déportation. Ce serait faire de l’histoire-fiction que d’imaginer ce qu’aurait pu donner une telle déportation dans ce pays aux mains de l’Eglise catholique…

Après une certaine influence des Chevaliers du travail, puis des militants des IWW, c’est l’arrivée de milliers de travailleurs juifs dans l’industrie du textile à la fin du XIXe siècle qui va relancer l’idée anarchiste. Celui qui, selon ce livre, rassemble autour de lui une foule de militants s’appelle Hirsh Hershman. Avec quelques amis, il crée une bibliothèque anarchiste ; puis un cercle de discussion est fondé. Il est ouvert à plusieurs tendances politiques, mais les anarchistes y restent majoritaires. Hershman, toujours lui, ouvre une librairie dans une des grandes rues de Montréal. Deux ans après, il crée un journal, /Der Telegraph,/ publié en yiddish, qui vise les communautés russe et roumaine de Montréal ; il sera rapidement remplacé par /Die Fraye Arbayter Shtime/ (« La Voix libre des travailleurs »), édité à New York. Les militants juifs sont profondément antireligieux, ce qui les conduit parfois à provoquer les juifs orthodoxes en organisant des bals « anti-Yom Kippour ». Ce seront ces mêmes militants qui seront à l’origine de la célébration de la mémoire des victimes de Haymarket le 1er mai 1906 et des 1er mai suivants. De nombreux meetings seront organisés pour écouter Emma Goldman ou Rudolf Rocker et les affiches appelant à ces réunions rédigées alors en yiddish.

A la lecture de cet excellent livre, il apparaît que la véritable oppression au Québec ne vient pas de ces patrons juifs contre lesquels les militants anarchistes déclenchent pourtant de violentes grèves, mais plutôt de l’Eglise catholique. Elisée Reclus, de passage dans la Belle Province en 1886, parle de « l’omniprésence du clergé dans les affaires publiques, de l’idiotie des curés qu’il croise sur sa route ». En 1908, Emma Goldman décrit ainsi Montréal comme une « cité moyenâgeuse couverte d’églises et de prêtres ». De son côté, Rudolf Rocker notera lors d’un de ses séjours dans cette ville : « Il y a peu d’endroits en Europe où l’Eglise conserve une emprise aussi forte que dans la partie francophone du Canada. »

Dans l’entre-deux-guerres, Albert Saint-Martin, marxiste libertaire, publiera un journal, /Spartakus/, présenté comme « l’organe officiel des chômeurs ». Lui et ses amis éditeront par la suite un libelle acide dont l’auteur de ce livre dit qu’il était « un véritable réquisitoire contre la charité supposée des institutions religieuses ».

Après la Seconde Guerre mondiale apparaît au Québec un groupe artistique fortement marqué par les idées libertaires. Il s’agit des « automatistes ». Au départ, ce groupe, composé semble-t-il autant d’hommes que de femmes, est largement influencé par les thèses surréalistes d’André Breton. Il s’agit d’abord d’essayer d’établir des relations avec les communistes, mais le projet tourne court parce que « la lutte des classes est inconcevable sans la passion d’une plus grande liberté ». C’est lors d’un passage à Paris avant 1950 que l’un d’eux, un sculpteur, trouve dans une librairie anarchiste les œuvres de Bakounine. Apparaissent alors les noms des frères Gauvreau, Primau, Borduas, Leduc ou bien Tranquille. Bien des noms inconnus de ce côté de la grande bleue.

Voilà donc un livre qui remplit un grand vide, on ne peut que demander à son auteur de continuer son travail. En effet, qui sont les anarchistes québécois depuis 1960 ?

Pierre Sommermeyer

[1] Claude Gauvreau, poète libertaire québécois : /Etal Mixte et autres poèmes./