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L’actualité va vite, ce qui était écrit hier, demain n’aura plus de valeur. Il faudrait pourtant revenir un instant sur un événement : la grève de la faim des détenus gauchistes.

Il ne s’agit pas d’analyser la si­gnification de cette affaire dans le contexte actuel. Cela, d’au­tres l’ont fait. Il faut essayer d’analyser et de comprendre les modes d’action employés. Il n’y a pas eu à ma connaissance d’essai de compréhension du moyen de lutte qu’est la grève de la faim en dehors des cercles non violents.

La grève de la faim, un moyen non violent ? Dans une interview à RTL un des « grévistes par solidarité » de la chapelle de la gare Montparnasse, déclarait : « La grève de la faim n’est pas un moyen non violent car c’est un moyen de pression sur l’opinion publique et le gouvernement ». Si cette déclaration révèle une méconnaissance totale de la non‑violence, elle ex­prime surtout une gêne sensible, dans les milieux gauchistes, face à ce type d’action. Le premier point ne nous étonne pas, le second mériterait que l’on revien­ne dessus d’une manière plus approfondie [1]. Pour nous la grève de la faim est un moyen non violent [2].

Stratégie

Nous pensons qu’elle est l’aboutissement d’une série d’actions s’étant soldées par un échec.

Dans la panoplie non violente, elle est l’arme absolue. Comme ce genre d’arme, son résultat n’est pas certain. En conséquence elle équivaut à un acte de kamikaze.

En cas d’échec de la pression, d’autres diront du chantage, elle entraîne la mort. Or pour aller jusque‑là, il faut que l’enjeu soit d’importance. Souvent aussi, elle est l’expression de personnes isolées dans une lutte. C’est quand elle devient l’expression d’un mouvement, au moins de ses éléments les plus engagés, qu’une stratégie différente, avec le même moyen, peut être employée et par là comporte moins de risques. Il s’agit du jeûne prolongé en fonction du but fixé ou, si l’on préfère, de la grève de la faim limitée dans le temps. Une grève de la faim de quinze jours ou trois semaines correctement relayée peut avoir un impact considérable et réduire les risques. Examinons comment cette action s’est passée.

Déroulement

4 janvier : À Toulouse, 4 détenus entament la grève de la faim.
14 janvier : Fresnes et Fleury‑Mérogis se joignent à la grève. Il y aura jusqu’à 20 prisonniers à la faire, certains étant libérés entre‑temps.
8 février : Fin des grèves de la faim.

La solidarité extérieure ne commence à se manifester que le 22 janvier. Elle prendra deux formes :
 a) classique :
Le 23 janvier, manif devant la Santé ; le 27, cocktails Molotov contre la Roquette ; le 29, de même sur la Santé ; le 2 février, bombage de trains ; le 5, attaque du commissariat du Panthéon.
 b) Solidarité effective :
Le 22 janvier, trois personnes commencent une grève de la faim dans la chapelle de la gare Montparnasse ; les jours suivants ils seront 11.
Le 28 janvier, grève à Notre-Dame‑de‑Lorette.
Le 1er février, à Fleury‑Mérogis, des droits communs mineurs entament une grève de solidarité ; le 3, à la Sorbonne, ils seront 12 ; à Marseille, Toulon, Nantes et Lille le mouvement s’étend.

Analyse

Un écart de dix jours entre le début du premier groupe, Toulouse et le second, Paris.

Un écart de huit jours pour que commencent les actions de solidarité.

Trois semaines de campagne, d’abord au ralenti, puis à plein régime.

Les grèves de la faim par solidarité ont couvert le bruit des cocktails Molotov et ont mis le gouvernement et la droite dans l’impossibilité de les exploiter.

Ce sont elles qui ont amené le gouvernement à plier, conséquence de la sensibilisation profonde du public, et ceci beaucoup plus qu’ils ne s’y attendaient. À la gare Montparnasse, ainsi qu’à la Sorbonne, ce fut un défilé incessant de sympathisants.

Pourquoi la solidarité est‑elle intervenue si tard ? Essentiellement parce que les gauchistes n’y croyaient pas. La première grève de Geismar n’avait pas provoqué cet élan. En fait, ils ont pris le train en marche.

Un capital de sympathie a été amassé tout au long de cette action. On peut dire qu’il a été dilapidé au cours des manifestations de Clichy et du Sacré-Cœur, qui ont révélé, à mon humble avis, le complexe de culpabilité de ceux qui n’avaient rien fait pendant les grèves de la faim. D’autre part, il faut reconnaître que la manifestation de Clichy fut le point de départ de l’affaire Guyot qui, elle aussi, remua profondément les masses lycéennes. À ce propos, on peut remarquer deux choses : Les lycéens ont joué le rôle de base de départ des luttes de « communautés solidaires ». L’action est partie d’un lycée et a gagné les autres. Voilà la réalité et l’efficacité des « conseils ». À côté du refus de nombre de lycées de se politiser, en fait de refuser l’emprise des groupuscules, on a pu remarquer l’emploi de « sit‑in » d’abord sur les trottoirs, puis dans la rue.

Ce qui vient d’être dit est une partie peut‑être plus pratique de la réflexion qui est menée à travers ce numéro. Elle devrait nous conduire à pousser plus loin la recherche pour une nouvelle expression de la non‑violence.

Pierre Sommermeyer
Notes

[1] Mme Alain Geismar, s’enchaînant à la gare Saint‑Lazare pour distribuer des tracts, a donné ses lettres de noblesse gauchiste à ce moyen typiquement non violent. Nous l’en remercions.

[2] Voir également l’article de Jean‑Paul Sartre, dans « J’accuse » (n°2, 15 mars) :

« Les grévistes de la faim sont des révolutionnaires ; contre notre “forme de société” qui est oppressive et répressive, ils savent qu’on ne peut agir que par la violence ; or on a coutume, depuis Gandhi, de tenir la grève de la faim comme le moyen privilégié des non‑vio­lents. Pour cette raison, certains révolutionnaires comprennent mal que leurs camarades y aient recours. Il faut donc rappeler que la grève de la faim, en France et aujourd’hui, est une démarche violente et révolution­naire.

« Demain, peut‑être, on n’y aura plus recours : c’est la situation qui décide. Aujourd’hui, elle est née dans les prisons et c’est là qu’elle prend tout son sens. »