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Matériaux pour comprendre la Russie

Il y a semble-t- il trois époques dans l’histoire russe, celle qui est avant l’occupation mongole, cette dernière puis l’histoire russe proprement dite qui se divise en trois partie, l’autocratie tsariste, la monarchie constitutionnelle et la période soviétique.

Il ne s’agit pas de faire un résumé de cette histoire mais de rechercher les influences, les constantes et les lignes de forces de l’organisation de ce pays. La partie soviétique n’est pas prise en considération. Pour faciliter le travail je me suis servi de l’ouvrage encyclopédique de Michel Heller Histoire de la Russie et de son empire. Heller est un historien, universitaire, spécialiste de la Russie à Paris IV. Il est décédé en 1997.

Des origines on ne sait pas grand-chose. C’est depuis longtemps l’objet d’un débat violent parmi les historiens russes. Plusieurs thèses s’affrontent. Le premier récit des origines remonte au XII ° siècle et raconte ce qui s’est passé environ deux cent ans plus tôt mais il semble sujet à caution. Ce sur quoi tout le monde s’entend, c’est l’existence de vastes étendues où existent de nombreuses villes. Tout le monde est d’accord pour accorder une influence certaine aux peuples scandinaves qui vont prendre le nom de Varègues. Une route commerciale traverse cette vaste étendue, elle va de la Baltique à la Mer Noire. Constantinople est à ce moment là une proie très convoitée. Mais il ne semble pas que l’Empire romain d’Orient ait eu une quelconque influence sur cette région à ce moment là. Rien de similaire à l’empreinte indestructible laissée par l’occupation romaine sur l’Europe occidentale. La deuxième moitié du IX° siècle voit la naissance de la Russie kiévienne avec le transfert d’une principauté varègue de Novgorod à Kiev. Michel Heller indique qu’il s’agit du premier coup de balancier qui jusqu’à aujourd’hui va habiter la société russe, de l’est à l’ouest, des forêts vers les steppes et inversement. La Russie est-elle d’Asie ou d’Europe ?

En 911 Byzance capitule devant les forces russes qui ont dévasté la capitale. Elle va payer tribut. Par le fer et par le feu une dynastie varègue a soumis les Slaves et commence à conquérir un empire. En 955 la princesse Olga se convertit au christianisme. Mais il faut attendre 990 pour que le prince Vladimir, pour pouvoir épouser la fille de l’empereur de Constantinople, se convertisse. Et sur son ordre, la population de la Russie kiévienne se convertit. Par cette démarche Vladimir se pose en concurrent potentiel de la Rome orientale. Le christianisme orthodoxe devient le ciment idéologique de la Russie en formation.

Mais ce qui plait par-dessus tout au nouveau baptisé, est l’organisation légale byzantine :
Tous les citoyens de l’empire sont les enfants de l’Empereur.
seul le Père a des droits.
La propriété privée existe, mais la jouissance suprême des terres revient à l’Empereur. Tous les biens immobiliers relèvent de l’Etat.
La hiérarchie du pouvoir est fondée sur des titre décernés par l’empereur. Il n’y a pas de vassaux. Il y a dix huit rangs, dans lequel chacun doit avoir sa place qu’il soit noble ou fonctionnaire.
Il n’y a pas de charge héréditaire.

La société russe est de son côté déjà structurée en deux parties : les libres et les esclaves, avec une catégorie intermédiaire, les semi libres, qui regroupe des paysans remboursant une dette. Les libres sont ceux qui d’une façon ou d’une autre exercent le pouvoir qui, à ce moment là a une dimension militaire incontestable.
Le christianisme va homogénéiser cette société et lui donner un équilibre idéologique.

Les luttes de succession,violentes et meurtrières,vont se succéder pendant deux cent ans. En même temps les guerres internes ont mélangé les peuples, les tribus et créé un nouveau peuple les Russes. 1223 sonne la fin de ce que les historiens ont appelé l’empire des Ruriks. Surgis de nulle part les Mongols arrivent et détruisent l’armée russe coalisée. La cavalerie de Gengis Khan vient de frapper et se retire aussitôt en laissant derrière elle un champ de ruine. En 1235, retour des Mongols. Tout ce qui résiste est détruit. 1238, Moscou est prise et brûlée. 1240 c’est le tour de Kiev. Les Mongols ne s’arrêteront qu’à Vienne.

Les Mongols vont gouverner cet immense empire à distance. Chaque principauté hébergeant un représentant des mongols et payant le tribut.

S’ils ont détruit tous ceux qui tentaient de résister, ils sont en même temps d’une grande tolérance vis-à-vis du christianisme et l’Eglise russe va bénéficier de privilèges étendus. Elle ne paiera pas de tribut, et pourra faire fructifier ses biens et s’étendre comme elle l’entend. Toute injure faite à la religion russe sera punie de mort. L’Eglise orthodoxe devient l’incarnation de l’unité de la Russie, son chef, le Métropolite, est indépendant des princes russes.

Le siècle et demi qui suivra sera mis à profit par le prince de Moscou pour se renforcer et se développer. En 1380 les Mongols sentant le danger vont organiser une offensive coalisée contre Moscou. Ils seront battus au Champ des Bécasses. Cette victoire sonne le début du recul des Mongols mais leur joug ne cessera qu’en 1462.

Ces deux siècles et demi ont vu émerger la principauté de Moscou qui n’aura de cesse d’étendre son emprise le plus loin possible. C’est le début de l’Etat moscovite. A la fin du XV° siècle le grand prince de Moscou se donne le titre de « souverain de toute la Russie ».Il semblerait qu’a cette époque l’Eglise orthodoxe possède un tiers du territoire de l’Etat. Les monastères sont le lieu unique du savoir. Le grand prince du moment épouse la nièce du dernier empereur de Byzance mort les armes à la main contre les Turcs. Le concept de « Troisième Rome » apparaît. L’Eglise et le pouvoir moscovite vont trouver rapidement des intérêts communs. Le second va se faire le bras séculier de la première et la défendre contre les hérésies qui la menacent, en échange cette dernière va élaborer la théorie du rôle divin du souverain : « Moscou est la gardienne de la foi et le souverain est nommé par Dieu ». La conquête de la Sibérie a lieu à la fin du XVI° siècle. L’année 1597 voit l’instauration définitive du servage. Les paysans n’ont plus le droit de changer de patrons, ils sont indissolublement attachés à leur terre. Il est contraire aux usages que les moscovites aillent où bon leur semble. Cette interdiction de circuler s » s’étend aussi aux marchands.

Le XVII ° siècle prendra le nom de « temps des troubles », il aura vu l’apparition de faux Tsars des révoltes des émeutes, la fin du Schisme et la création du Code de 1648 qui restera en vigueur jusqu’en 1833.
Ce code stipule :
La population est divisée en trois catégories :
Les hommes de service, nobles ou fonctionnaires
Les gens de taille des faubourgs, les citadins
Les gens de taille des campagnes, les paysans sont irrémédiablement attachés à leurs propriétaires et en cas de fuite aucune prescription ne peut leur bénéficier.

Les villes deviennent des centres administratifs, et un code des punitions est mis en place, il fixe les châtiments pour injure faite en fonction du rang de la personne insultée.

Le XVIII° siècle voit l’entrée de la Russie dans la modernité avec l’arrivée au pouvoir de Pierre le Grand. Le balancier passe de l’Est à l’Ouest. Le nouveau tsar fait sa formation en voyageant dans toute l’Europe. De la même façon l’Europe s’ouvre à la Russie. Il rentre en Russie pour exterminer une révolte, dans le sang. Pierre 1° va entrer dans l’histoire comme le réformateur de la Russie. Celui qui a reçu le titre d’« Empereur de toute la Russie » va s’attacher à réorganiser l’Etat russe. Il va réorganiser l’armée, tout les nobles devront servir obligatoirement dans l’armée comme simples soldats, le Patriarcat orthodoxe de Moscou, est abolit et remplacé par le Saint Synode, ce faisant le Tsar concentre entre ses mains les pouvoirs spirituels et temporels.

En 1722 Pierre I° instaure la « Table des Rangs ». Une hiérarchie est établie dans le système de gouvernement. Quatorze classes sont instituées, ainsi que les possibilités d’avancement entre elles. Ce seront dorénavant les talents et les capacités de travail qui ouvrent les voies du sommet. La noblesse cesse d’être une caste fermée. Les droits et privilèges ne dépendent plus de la naissance mais du grade. Ce règlement ne précise pas seulement le rang administratif mais aussi le rang social, ainsi les tarifs des uniformes en fonction du rang.

Cette « Table des Rangs » restera en vigueur jusqu’en 1917.

Huit ans auparavant Pierre I° avait instauré un impôt sur les paysans, rendant les propriétaires terriens responsables de la collecte fiscale. Cela avait eu pour conséquence de transformer tous les paysans, quels que soient leur importance en esclaves. Le mécontentement du Tsar à cet égard resta lettre morte. L’immense majorité du peuple russe devenait des serfs, vendables comme du bétail. Ils vont former la main d’oeuvre indispensable aux grands travaux et y mourir par milliers. La construction de Saint-Pétersbourg entraîne selon certains témoins la mort de plus de trois cent milles paysans, morts de faim ou de maladie.

A la fin du 18° siècle la Russie compte 30 millions d’habitants, neuf millions sept cent quatre vingt dix milles âmes appartiennent à des propriétaires privés, sept millions deux cent soixante treize mille appartiennent à la couronne. Si on ajoute les familles on peut considérer que 90% de la population russe est esclave. Les propriétaires auront le droit de déporter leurs âmes en Sibérie « pour des actes particulièrement téméraires » !

Le dix huitième siècle sous les coups de boutoirs de Pierre le Grand va ouvrir la Russie aux influences culturelles extérieures. Si l’existence d’une culture « horizontale » (folklorique) est reconnue, la nécessité d’une culture « verticale » (occidentale) est ressentie. Mais cette opposition entre les deux cultures conduit à une fracture entre les mondes slavophiles et occidentalistes qui dure encore aujourd’hui.

Au milieu de ce siècle apparaît un homme qui conjugue ces deux cultures. Il s’agit de Mikhaïl Lomonossov. Formé à la culture slavonne, il est envoyé en Allemagne pour y faire ce que nous appellerions aujourd’hui des études supérieures. A cette époque les Allemands tiennent le haut du pavé en ce qui concerne la culture russe verticale. De retour en Russie Lomonossov crée, en 1750, la première grammaire russe, jetant les bases ainsi de la culture russe actuelle. Le vieux slavon continuera à être employé dans les ouvrages religieux. Cinq ans plus tard, l’Université de Moscou est fondée, les cours ayant lieu soit en latin, soit en russe, en fonction des capacités des enseignants. Les étudiants représentent toutes les couches de la population, sauf les serfs… La première pièce de théâtre jouée en russe, pour le peuple, date de 1757.

La fin du 18° siècle voit la tsarine Catherine II, originaire d’Allemagne devenir d’une part plus russe que les russes, et d’autre part ouvrir en grand la Russie aux influences occidentales et en particulier aux Lumières. Voltaire et Diderot sont de ses relations.

Pour Catherine II, la Russie est européenne, le souverain est autocrate, le serf devrait subir moins de corvées et pourrait être propriétaire de biens mobiliers.
On peut dire que le 19° siècle s’ouvre sur un pays déchiré entre une culture occidentale et une structure traditionnelle slave. Le problème de la liberté des individus, quels qu’ils soient, empoisonne la société russe.

Un voyageur russe en France évoque ainsi la situation : le premier droit de tout Français est la liberté, mais son véritable état est l’esclavage car il ne peut assurer sa subsistance que par un travail d’esclave. Notre peuple ne jouit pas de liberté de droit mais de liberté de fait.

Un général dira : « les paysans russes ne considèrent pas leur état de serf comme malheureux. Il ne peuvent se représenter autre chose, aussi ne peuvent ils désirer ce qu’ils ignorent : le bonheur humain est le fruit de l’imagination ».
Le XIX° siècle s’ouvre avec l’assassinat du Tsar Paul I° et l’édition du premier roman en russe, en vers, Eugène Onéguine de Pouchkine.

C’est aussi l’irruption de l’Europe de l’Ouest sur le territoire russe en la personne de Napoléon. Si tout le monde connaît l’histoire de la campagne de Russie, peu savent que Moscou conquise, les Français se rendent compte que pour la première fois de leur histoire ils ont pris une ville ou il n’y a pas de producteur. En effet les propriétaires qui y habitaient ont fui devant l’envahisseur, donc les paysans n’ayant plus de débouchés pour leur produit ne sont plus venus les vendre. C’est donc une ville morte et les occupants n’ont rien à manger, l’incendie volontaire de la ville aidant, les armées françaises font retraite. Voici la réalité de la ville russe qui n’est rien d’autre qu’un dortoir et un lieu de pouvoir.

En 1817 un oukaze sur les colonies de peuplement militaire est promulgué. Le service militaire dure alors 25 ans. C’est le renouveau de l’idée antique du soldat laboureur. Sauf qu’alors cela sombre dans le délire. Les endroits qui sont déclarés colonies, voient toutes les terres privées être expropriées, les paysans présents à ces endroits sont incorporés d’office dans l’armée. Un règlement détaillé est mis en place qui prévoit tout depuis la forme des vêtements jusqu’aux règles de nutrition pour les enfants et la préparation des plats. A sept ans les enfants sont incorporés dans des régiments de cantonnier, où ils restent jusqu’à douze ans, puis ils rentrent dans leurs familles pour aider aux champs jusqu’à 18 ans, et ce sont les vingt cinq années de service militaire. Les paysans incorporés délaissent les champs et la jachère s’installe.

Les maisons sont idéalement tenues mais il est interdit d’y chauffer les poêles pour ne pas les abîmer, les routes sont magnifiques mais il est interdit d’y circuler et il faut franchir les rivières à gué à côté des ponts.

Ce système en trompe l’œil perdurera jusqu’à la défaite de l’armée russe lors de la guerre de Crimée, mais aura des effets bien plus longtemps.

Cette idée serait née dans la tête de l’empereur Alexandre I° après la victoire de Paris pour reprendre le contrôle sur ses sujets qui ayant sorti des limites de la patrie russe ont put être contaminés par les idées occidentales.

Le successeur d’Alexandre I°, Nicolas I° doit faire face dès son entrée en fonctions de la révolte des « Décabristes » ces nobles aux idées républicaines qui tentent de façon velléitaire une prise du pouvoir, échouent et sont pendus. L’empereur gouvernera de façon encore plus autocratique s’il était possible l’empire russe jusqu’en 1855. En 1826 une nouvelle structure de gouvernement est mise en place par le Tsar afin de lui permettre de gouverner directement la Russie il s’agit de la Chancellerie personnelle de l’Empereur. Elle va comprendre un service de police qui sera le bras armé du souverain. Ce service ou troisième section couvre tous les secteurs et événements du pays. Cette police relevant directement du souverain est au-dessus de toutes les lois. Alexandre Herzen dira du général Benkendorf, chef de cette police pendant 10 ans : « il n’a pas fait tout le mal qu’il aurait pu faire » !!
En 1847 le nombre des fonctionnaires s’élève à 61 543, la moitié dépend du ministère de la justice ou de l’intérieur. La police du Tsar forte de 4 324 hommes en 1836 traite jusqu’à 12 000 documents rentrant et en produit 4 000 par an environ.

On assiste pendant ces années à un processus ininterrompu de développement de l’appareil bureaucratique.

En 1830 le Recueil des lois en 45 volumes est publié. L’empereur Nicolas 1° crée neuf comités secrets pour réfléchir au problème paysan et libérer les paysans du servage, sans trouver de solution.

Il y a 20 millions de serfs dépendant de la couronne et 25 millions dépendant de propriétaires privés. En 1835 on compte 60 millions d’individus en Russie. Pour faire face au problème du servage on met en place un appareil bureaucratique imposant. Les fonctionnaires prennent petit à petit la place des propriétaires terriens. La noblesse devient service de l’Etat, un uniforme leur est attribué, c’est celui du ministère de l’intérieur. A cette époque la Russie abrite 127 000 propriétaires « d’âmes serves ».

En 1855 les fonctionnaires sont au nombre de 82 352. Ne sont pris en compte que ceux qui rentrent dans la Table des Rangs telle quelle a été créée par Pierre le Grand. Il y a à côté une myriade d’employés de conditions inférieures. Parmi les fonctionnaires le nombre d’Allemand est important ce qui explique en partie leur mauvaise réputation. Ils représentent 57% des cadres des affaires étrangères, 46% de la guerre, 62% des la Poste et communication.

A la même époque, 1847, les intellectuels slavophiles découvrent la commune paysanne « le mir » en lisant l’ouvrage d’un agronome allemand, Haxthausen, qui vient de faire une étude en Russie sur l’organisation agricole de la paysannerie. Pour eux il met à jour publiquement un mode de vie qui apparaît comme typiquement slave. Pour les occidentalistes il prouve l’existence de la nature socialiste du paysan russe. (voir article de Rubel sur Vera Zassoulitch)

Qu’est ce qui caractérise le « mir » ?

C’est un groupe de paysans vivant dans le même village, la terre qu’ils cultivent appartient à la commune et non à un propriétaire terrien. Les lopins de terre sont régulièrement repartagés, afin que tous puissent à un moment ou à un autre avoir accès à de la terre de bonne qualité. Le respect d’une égalité idéale est le but de la commune.

Il est impossible de quitter la commune, même en payant sa part de capitation. Une caution solidaire lie tous les membres de la communauté devant l’impôt.

Pendant le règne de Nicolas 1° l’armée est la principale bénéficiaire des dépenses du gouvernement. 45% du budget russe lui est consacré. Ce qui n’empêche pas cette même armée d’être dans un état déplorable. Un document indique qu’en 25 ans 1 062 839 « grades inférieurs » sont morts de maladie. Pendant le même temps 30 233 soldats sont morts à la guerre. L’armée russe est forte de 2 600 407 soldats.
Sous le règne de Nicolas 1° la croissance économique est d’une lenteur incroyable. Alors que la production de métal augmente de 30 fois en Grande-Bretagne elle n’augment que de deux fois en Russie.
Avec l’arrivée d’Alexandre II c’est le début des grandes réformes du XIX° siècle.
Le 19 février 1861 le Tsar signe « le Manifeste de libération des paysans ».

Il y a quatre points :

 libération individuelle des paysans sans droit de rachat, cela concerne 22 millions de paysans.
 droit accordé de racheter leur maison et l’enclos attenant.
 possibilité de rachat les terres cultivées en accord avec le propriétaire.
 les terres rachetées appartiennent à la commune

Un droit spécifique concerne les paysans

  Ses terres ne sont pas sa propriété personnelle, il ne peut ni les vendre ni les léguer ni en hériter, mais il ne peut pas non plus renoncer à son « droit à la terre ». Si le paysan qui est parti décide de revenir il est en droit de réclamer de la terre qui doit lui être remise.

  De la même façon il relève d’un statut juridique spécial, il reste soumis à des peines qui on été abolies pour les autres états. En particulier les « verges », un paysan ne peut pas être battu passé l’age de 60 ans. Cette peine restera en vigueur jusqu’en 1904.

  Dans les faits il joui de droits qui ne sont pas attribué à un individus mais à une fonction, car il incarne la Russie éternelle proche de la nature et de Dieu.
Un système d’autogestion paysanne s’installe dans les campagnes avec une banque paysanne qui consent des prêts sur 49 ans.
A la même époque, des réformes des tribunaux, de l’armée et des administrations régionales entrent en vigueur, ainsi qu’une loi sur la presse. La censure est abolie pour les livres mais pas pour les brochures et pas pour la presse. Dans chaque gouvernement régional un parlement est institué, les députés sont élus par leur classe, les propriétaires terriens, les sociétés urbaines, les paysans. Les nobles ont 40% des sièges, les paysans en ont 39%.

Cette réforme libère les énergies. C’est l’explosion technologique du train, du télégraphe. Des compagnies navales apparaissent sur les mers intérieures, la production de minerais est en augmentation.

Mais la réforme du servage telle qu’elle a été faite a créé un mécontentement important dans la paysannerie. On est loin de la libération espérée. Par exemple, un paysan ne peut pas avoir un permis, pour s’installer en ville, supérieur à 5 ans.
Les cinq années qui vont voir cette libéralisation se mettre en place verront simultanément 3579 révoltes nécessitant l’intervention de l’armée.
Le tsar Alexandre II est assassiné dans un attentat. Ces réformes ont levé le couvercle sur une société bloquée, timides elles ont désespérées beaucoup de gens qui ont créé une agitation sociale sans précédent. Alexandre III lui succède en 1883. C’est le retour de l’autocratie, malgré l’opposition de la majorité des conseillers du Tsar qui lui demande de continuer dans les traces de son père.

Un nouveau règlement policier est édicté, il restera appliqué jusqu’en 1917. Les organes judiciaires sont directement soumis à l’administration, qui peut sans jugement procéder à la relégation, faire passer quiconque en jugement à huis clos ou en cour martiale Des sections de sûreté sont créées avec mission de s’occuper de tous les délits politiques.

Le Tsar réunit des représentants des parlements régionaux pour discuter du système de vente de la vodka, et de l’aide aux paysans migrant.

Dans l’immense empire russe, deux types de population, deux groupes nationaux, sont considérés comme des étrangers. Les habitants autochtones du grand Nord et les Juifs.

Laissons de côté les premiers pour examiner le sort fait aux seconds, quoique les raisons de les considérer comme non russe, relève de la même idée, les deux groupes sont non chrétiens, les premiers sont païens (animistes) les autres sont non seulement juifs mais ils ont la prétention d’être le peuple élu. Les juifs sont soumis à un numerus clausus dans les établissements d’enseignement supérieur et ils doivent habiter obligatoirement dans des Zones de résidences définies(cf livre de Soljenitsyne). En outre interdiction leur est faite de posséder des terres, donc de » se livrer à des tâches agricoles, la terre russe est sacrée et ne peut être concédée à des non chrétiens.

Les réformes d’Alexandre II ouvrent la voie au capitalisme. Les premiers bénéficiaires sont les marchands, qui sont divisés en trois guildes en fonction de l’importance du capital. Parmi la première guilde ont trouve un certain nombres de juifs, qui a partir de ce moment là peuvent sortir de leur Zone de résidence moyennant finances et s’installer ailleurs sans pour autant être obligé de se convertir à l’orthodoxie. Le monde clos des petites villes juives explose et de nombreux jeunes juifs quittent ces lieux et entrent en contact avec le monde extérieur. Ce qui explique l’arrivée de nombre d’entre eux dans le mouvement révolutionnaire.
Alexandre III va tenter de faire machine arrière. Il commence par réformer l’armée, et change l’uniforme. Mais les principales tendances sont au nombre de trois : réforme de l’université et du système scolaire, réforme du mode gouvernement local et réforme de la justice. Il s’agit de refonder l’autocratie tsariste mise à mal par les réformes du Tsar précédent.

L’université russe est celle qui a à cette époque le plus grand nombre d’étudiants, juste après les Etats-Unis. De 1875 à 1885 le nombre d’étudiants passe de 5 679 à 12 939. La nouvelle réforme supprime l’autonomie accordée par la précédente et oblige les étudiants à porter un uniforme, façon de mieux les contrôler. Ce qui n’empêche pas le système d’être défectueux. A ce moment là sur cent élèves, seuls huit ou neufs terminent leurs études secondaires à l’âge requis. Faute d’enseignants russes on en recrute dans les pays environnants sans se préoccuper de leur capacité d’enseigner en russe. L’enseignement russe est calqué sur celui des pays germaniques, ou 47 à 48 % du temps est consacré à l’enseignement des langues anciennes. Cet échec n’empêche pas le ministre de l’éducation de 1885 de déclarer que l’enseignement des collèges est néfaste pour les « classes inférieures ». Il signera une circulaire enjoignant aux directeurs d’établissements de refuser tout élève dont les parents ne présentent pas suffisamment de garantie d’une bonne surveillance familiale ; entre autre les enfants de cochers, de blanchisseuses, de laquais, de petit boutiquiers et gens du même ordre.

Pour arriver à cela on concurrence les établissements relevant des gouvernements locaux par des écoles émanant de l’église orthodoxe. Un effort financier important est fait. En 1895 elles recevront 3 454 645 roubles, contre 50 000 dix ans auparavant.

Après l’éducation, vient la réforme des gouvernements locaux. Leur autonomie est ressentie comme une atteinte au pouvoir du Tsar. Donc tout est fait pour réduire leur indépendance. Ils deviennent un simple appendice du pouvoir central. Les propriétaires terriens retrouvent leur pouvoir et leur prestige perdu depuis l’émancipation paysanne. Ils ont maintenant le droit de châtier les contrevenants, châtiments physiques, peine de prisons, amendes. Les peines point trop sévères sont qualifiées de paternelles.

La réforme de la justice passe par la soumission complète des tribunaux à l’administration.
Je finirais en citant l’idéologue du mouvement slavophile Constantin Aksakov :
« Le peuple russe n’est pas un peuple étatique, il n’a aucun désir de prendre part au pouvoir, à la gestion de l’Etat. Il n’a nul besoin des libertés occidentales, il se sent pleinement libre sous la dextre protectrice du tsar autocrate ».

La question agraire :

Il semble que ce soit la question centrale en Russie. Tout tourne autour de la commune rurale appelée « obchtchina », appelée plus commodément « mir ». en 1906 un ouvrage sur la question paraît en Russie intitulé La question agraire en Russie. Son auteur est un social démocrate appelé P. Maslov.

Il a eu accès aux statistiques officielles. En excluant un tiers du territoire russe impropre aux travaux agricoles on obtient grosso modo 2 ha (2,1 dessiatines) de terre convenable par personne contre moins d’un demi hectare en France ou en Allemagne. A qui appartiennent ces terres. Depuis 1860 les nobles ne cessent de vendre des terres. En 1905 les paysans possèdent près de 164 Millions de dessiatines, les nobles 53 (dont une part importante de forêts) En 1916 80% des terres cultivables appartiennent aux paysans qui louent celles qui sont restées entre les mains des nobles. Après Octobre 17 l’application du slogan « la terre aux paysans) verra l’attribution à chaque paysan de 0,1 à 1 dessiatines. Si les paysans sont propriétaires de fait de leur terre leur misère est une réalité incontournable. 3La moitié vit, les autres ne font que survivre » rapport à Nicolas II. Selon un statisticien du début du XX° siècle le paysan allemand tire de sa terre un revenu trois fois plus important que le paysan russe. Il continue en disant que le paysan français a besoin d’un demi dessiatine pour produire l’équivalent de ce que le paysan russe produit avec 2,6 dessiatines. Ce n’est pas un problème d’outils mais un problème de techniques. En fait les paysans russes a conservé les techniques du XVI siècle. Pour les réformateurs tsaristes il faut voir l’arriération technologique paysanne dans l’existence et le maintien de la commune rurale. Il faut transformer le paysan en individu réellement libre, libre de ses compagnons de village et de l’administration rurale. Dans les régions proches de la baltique où ce type d’organisation n’existe pas la production est meilleure alors que les terres sont moins fertiles.

Cette vision des choses est alors partagées par l’homme fort du régime tsariste du début du siècle Stolypine. Il sera assassiné en 1911 avant d’avoir réussi à imposer sa réforme du fait de l’opposition de la noblesse.

Commentaires

Tout ce qui précède est issu d’un livre intitulé Histoire de la Russie et de son Empire Editions Flammarion Paris 1997 1000 p. Spécialiste de l’histoire russe, décédé en Janvier 1997.

J’ai traversé ce livre en ne gardant que ce qui me semblait pertinent pour comprendre comment la Russie d’Octobre s’était organisée. J’ai laissé de côté tout ce qui concernait les guerres de conquêtes, les guerres de succession, les complots les trahisons. La violence qui traverse l’histoire de la monarchie russe ne peut que laisser pantois ceux qui ont garder en mémoire les épisodes de la Fronde, ou la légende du Masque de Fer. La cruauté stalinienne en est la digne héritière. Elle fait partie de la norme, tout comme la violence de Poutine en Tchétchénie.

Je voudrais poser le problème de l’héritage conscient ou inconscient nécessaire pour passer de la révolte à la révolution.

Kropotkine dit « le socialisme est issu des profondeurs mêmes du peuple » (citations Berthier page 176). Il faut interroger ces profondeurs, à moins de ne les considérer que comme un dogme, une déclaration ne supportant pas l’examen.

Il apparaît que le peuple russe est un peuple soumis à un autocratisme insensé depuis des siècles. Dans l’histoire russe on ne trouve pas trace de villes franches, de corporations de métiers luttant pour la défense de leurs intérêts. Nul vent du large, la Russie se libère des mongols au moment où l’Occident découvre les Amériques. La Renaissance porteuse de révolution intellectuelle n’a aucun effet dans ce vaste territoire. Les insurrections paysannes qui rythment l’histoire russe ne visent en dernière alternative qu’à remplacer un mauvais Tsar par un bon. La culture reste aux mains du clergé orthodoxe d’abord, puis entre les mains de la cour et de son entourage mais dans une langue que la majorité ne comprend pas, l’allemand d’abord puis le français. Il faut attendre la deuxième moitié du XVIII siècle pour que cela commence à changer. Mais il faut attendre encore cent ans pour que cette culture atteigne les paysans qui viennent d’être libéré de l’esclavage. Voilà ce que sont les profondeurs du peuple russe. Il ne s’agit pas de diminuer sa valeur, son labeur et sa peine, mais de regarder objectivement la situation quand la barbarie de la guerre de 1914 oblige les soldats à se révolter. Il ne faut pas oublier que l’immense majorité du peuple russe à ce moment là est paysanne et porte en elle cet héritage d’esclavage et d’incarnation religieuse de la Russie.

Tentons une comparaison avec l’Espagne. Si Marx est très réservé par rapport aux possibilités révolutionnaires de la Russie. Voir Lettre à Zassoulitch, il trouve dans l’histoire espagnole plein d’indice qui lui font croire à un potentiel spécifique révolutionnaire.

Berthier parle beaucoup de la classe ouvrière, mais que représente-t’elle en Russie à cette époque là.

Il ne faut pas oublier le vieux dicton qui dit : le lendemain de la révolution il faut aller travailler !

Quand les bolchéviks prennent un pouvoir qui est à prendre à ce moment là. On ne peut pas prendre un pouvoir qui fonctionne, sauf par un coup d’état interne. Le pouvoir est vacant, les bolchéviks le prennent, ils liquident leurs oppositions, comme tous les pouvoirs le font et plus particulièrement le pouvoir russe depuis de siècles. Ils se trouvent alors devant le problème paysan. Ils fonctionnent alors selon un des mythes russes contemporains, il faut rendre la terre aux paysans. Le problème est que depuis leur libération, sous une forme ou une autre, les paysans ont acquis la majorité des terres arables. S’ils sont toujours aussi misérables que du temps ou ils étaient serfs, cela vient du fait qu’ils ne connaissent pas les techniques agricoles permettant une augmentation de la production. On peut tout à fait attribuer cette ignorance à leur refus de mettre en valeur des terres qui ne leur appartenaient pas, au désintérêt des propriétaires dans cette mise en valeur, et à une volonté générale de garder la paysannat dans sa misère traditionnelle.

Il faut arrêter de considérer Lénine et ses sbires comme des révolutionnaires ayant mal tourné, mais il faut affirmer qu’ils ne sont que les continuateurs du régime précédent. Ils portent les habits neufs du tsarisme.