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La révolution du « printemps français »

Dans les rues de nos provinces comme dans celles de la capitale de drôles de manifestations ont battu le pavé ces dernières semaines. Pour un observateur étranger à la scène politique française, elles sont apparues pour ce qu’elles voulaient être, hargneuses, revanchardes, homophobes, en un mot réactionnaires. Ce qu’elles furent sans aucun doute. Pour quelqu’un d’attentif un drôle de parfum en émergeait qui ne pouvait qu’interroger la mémoire.

Mai 68 à l’envers ?

C’est ainsi qu’un certain nombre de commentateurs de droite, politiques ou journalistes, qualifièrent ces mouvements de foule. Ce qui montrait à la fois leur désir d’en finir avec une mythologie médiatique et leur peu de mémoire historique. Cela montrait aussi leur absence de compréhension de ce qui était en train de se jouer sous leurs fenêtres. Par certains côtés, il peut apparaître un parallèle entre ce qui s’est passé il y a presque une cinquantaine d’années et aujourd’hui.

Il y a d’abord l’inattendu. Qui aurait pu penser qu’un malheureux texte de loi régularisant comme dans bien d’autre pays le divorce pour tous (sic) ferait sortir dans la rue une telle marée humaine ? La gauche, comme nous autres libertaires de tous poils, attendions évidemment les catholiques intégristes avec leurs alliés contre nature, les identitaires, athées pour la plupart. Ceux là furent au rendez vous, jouissant de pouvoir sortir dans la rue oriflammes et matraques en tête. Enfin ils apparaissaient à l’air libre, hors d’une clandestinité plus ou moins médiatiquement imposée. Ils ne furent pas une surprise. Il y eut en plus ces familles, bon chic bon genre, bien habillées, peu habituées à la marche à pied dans des avenues vides qui vinrent dire « attention à nos privilèges et à notre mode de vie ! ». Ceux là avec leurs poussettes bien garnies semblaient à la fois déplacés et à l’aise.

Puis surgirent d’on ne sait où (cela en dit long sur notre enfermement militant) des grappes de jeunes filles et garçons, chantant, dansant, hurlant, s’amusant, occupant la chaussée, la faisant leur. Là pour moi et bien d’autre ce fut un choc. Ils auraient dû être dans des manifs de gauche. Ce goût de Mai 68 apparaissait tout à la fois incontestable et incongru. Etait-ce la révolution en marche et quelle révolution ?

Leur révolution ou une autre ?

Si vous êtes comme moi un brin surpris, il faut quitter les commentaires du Monde ou de Libé et aller se plonger dans la prose de ceux qui ne sont ni des identitaires en quête de führers tout puissants et d’espace vital ni des croyants intégristes réclamant une charia chrétienne. Il faut aller lire les textes de ceux qui se nomment le "Printemps français". J’en ai extrait ces quelques lignes qui ne peuvent que nous faire réfléchir : « Nous n’acceptons plus que l’homme soit réduit à être un simple consommateur-producteur mondialisé et déraciné. Nous ne nous résignons pas devant la misère de nos frères. Nous ne voulons plus subir le diktat de l’idéologie marchande et nous n’avons que faire d’une société où les banques tiennent lieu de cathédrales. Nous voulons mettre l’homme au coeur du projet politique ».

Tentons une analyse. Nous oublions souvent que les mouvements fascistes sont à l’origine des mouvements sociaux contestant l’ordre établi. Dans national-socialiste il y a ce mot, socialisme, qui passera à la trappe une fois [le nationalisme] arrivé au pouvoir ; entre-temps il aura trompé et embringués bien des prolétaires révoltés par leurs conditions misérables. Est-ce le cas dans ce « printemps » là ? On peut chercher les ouvriers, les petits employés, pas trop de risque d’en trouver. Ils sont plutôt dans les groupes identitaires. Ce sera là que pourra s’exprimer leur rage et leur désespoir. Au « printemps » on trouvera des jeunes des classes moyennes, éduqués, à la fois en recherche d’un idéal humaniste et conscients d’appartenir à une classe sociale en train de se prolétariser du fait de la crise. Cet idéal, ils ne le trouvent pas dans le discours de nos politiciens. Pas plus que nous d’ailleurs, mais cela ne nous surprend pas particulièrement. Pour ces jeunes, le personnel politique, issu de leur classe, les a trahis. Caricaturalement il apparaît comme héritier et réalisateur des idées de Mai 68. C’est au moins ce que leur raconte à longueur de pages leurs différents journaux, du Figaro à Valeurs actuelles. Ils vivent dans une société sans repère, hormis celui de l’argent. Tout comme nous d’ailleurs, mais ils mettent leurs espoirs dans un retour aux « vraies valeurs ». Cette société où tout est permis, au moins à eux, leur fait horreur. C’est à cet endroit que se joue une inversion de sens qui structure tous leurs discours. Déjà au IIIème siècle après J.C. un dénommé Tertullien, théologien de son état, avait avancé que la religion romaine n’était pas une religion mais une superstition et que la seule vraie religion était le christianisme. On sait quel succès cela rencontra par la suite. Il en est de même aujourd’hui avec cette société permissive dans laquelle ils disent vivre. Si elle leur est imposée, c’est donc un totalitarisme. Puisque nous vivons dans une société totalitaire, les opposants aux totalitarismes précédents peuvent devenir leurs maîtres à penser. Alors leurs références à Gandhi, Orwell, H. Arendt, Simone Weil entre autres prennent ainsi tout leur sens.

Et le féminisme…

Il y a aussi certainement dans leur désamour de leur société dont ils sont quand même les héritiers, une part due aux désordres sexuels. Le féminisme, puis la théorie du genre ont cassé les rôles traditionnellement établis entre les hommes et les femmes. Pour beaucoup d’hommes, passés au moule des relations patriarcales, il n’a pas été possible de trouver d’autres modes relationnels entre les sexes. Il en est de même pour beaucoup de femmes, soumises à ces derniers pendant tant de siècles. Chacune et chacun se trouve maintenant obligé de réinventer le rapport à l’autre. Cela dérange parce que le champ du possible est alors immense. Ce qui donne d’ailleurs dans ces rangs des résultats intéressants et que ce « Printemps français « ne voit même pas. Qui sont leurs porte paroles ? Des femmes ! Inutile de gloser sur leur nom, mais bon, il y a Frigide Barjot, Béatrice Bourges, Ludivine de la Rochère, et quelques autres. Les hommes sont en arrière plan et parfois deviennent des victimes expiatoires comme Dominique Venner qui se suicida devant le maître-autel à Notre Dame. Sur les chaînes de télévision nous vîmes des jeunes femmes interviewées, prenant la parole avec détermination comme en d’autre temps dans des manifs de gauche. A ce propos, il est remarquable de noter que, depuis la mise à la retraite de l’Arlette de LO, il n’y a plus aucune femme de poids à l’extrême gauche, tant au Parti de gauche, au PC qu’au NPA. C’est peut être un refus de la société permissive ?

Et maintenant ?

La loi a été votée et confirmée par le conseil constitutionnel. Les partis politiques qui avaient pris le train en marche, comme en Mai 68 d’ailleurs, ont laissé comprendre qu’un retour en arrière serait, en cas d’alternance, peu probable. Il serait quasiment impossible de défaire ce qui a été fait, particulièrement en matière de parentalité. Pourtant le mouvement qui s’est exprimé au cours de ces journées reste profond, il n’a pas disparu. Quelle forme va-t-il prendre ? Déjà sur le site web du Printemps français apparaissent des consignes d’occupation des Champs Elysées à l’occasion du 14 juillet. Une autre question se pose. Comment l’autre forte femme de l’extrême droite, Marine LePen va-t’elle procéder pour tenter de récupérer cette frange d’activistes militants qui se sont organisés en dehors du Front national ?

Rappelons-nous que cette jeunesse et ce mouvement si contestataires soient ils, aux motivations qui peuvent nous apparaître proches, sont en fait profondément réactionnaires, au sens premier du terme. Ils veulent revenir à un passé mythifié qui n’a jamais existé.

Pierre Sommermeyer